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02-2014

Marie-Theres Wacker Homme sauvage et femmes étrangères. Le Cycle d’Élie (1 Rois 17- 2 R 2) selon les perspectives de « genre » / gender (I-II)

Abstract:

Considering the example of the Elijah cycle (1 Kings 17 – 2 Kings 2), this contribution presents different approaches of a gender-sensitive exegesis. They are further developed and applicated to a reference text, in this case 1 Kings 17. The present study discusses main features of a feminist hermeneutics which is pursued gender-specifically and amended by different approaches from menʼs studies/masculinity studies and finally queer studies. A second, upcoming article will further introduce postcolonial approaches (especially relating to 1 Kings 21) and sharpen the question of Elijahʼs God, respectively his "monotheism" in a gender-sensitive way. Both studies trace back to lectures delivered as a visiting professor at the École Pratique des Hautes Études in Paris (spring 2014). [1]

Le "Cycle d'Élie" se lit dans le premier et deuxième livre des Rois (1 Rois 17 – 2 Rois 2). Ces textes bibliques présentent un personnage aux traits abruptes, brusques, violents et sauvages – Élie – qui entre en interaction avec d'autres personnages, principalement le roi Akhab/Ahab et son majordome Ovadyahu, la reine Jézabel/Izèbel et les prophètes à sa table, une veuve phénicienne et son fils, des anges – ou, mieux peut-être, des messagers de Dieu –, des groupes du peuple, et finalement le successeur d'Élie, Élisée/Elisha.[2] Peu de personnages, un récit peu complexe : cʼest donc un sujet propice pour exposer comment la perspective, ou plutôt les perspectives de « genre » peuvent éclairer, problématiser, questionner, transformer un texte relevant du canon classique de la Bible hébraïque.

Du point de vue narratif, l’entrée en scène du personnage d’Élie intervient au moment d’un paroxysme : Akhab, le roi en face duquel Élie se trouve dès le début du ch. 17, est le septième roi d’Israël depuis Jéroboam. Le même Jéroboam s’est révolté contre Salomon à Jérusalem ; il a donc, selon l’historiographie deutéronomiste, rompu avec la dynastie davidique instituée par Dieu et il a, en outre, consolidé son pouvoir par la création de deux lieux de culte, à Bethel et Dan, qui font concurrence au Temple de Jérusalem. Akhab continue cette apostasie politique et cultuelle, comme on peut le lire à la fin du ch. 16 :

16,30 Ahab bèn ‘Omri fait le mal aux yeux de IHVH-Adonaï, plus que tous avant lui.

31 Il est léger pour lui d’aller dans les fautes de Iarob‘âm bèn Nebat.

Il prend une femme, Izèbèl, la fille d’Ètba‘al, le roi des Sidonîm.

Il va, sert Ba‘al et se prosterne devant lui.[3]

Les « péchés de Jéroboam » dont il est fait mention renvoient aux nouveaux lieux de culte, qui restaient cependant dédiés au Dieu d’Israël. Akhab va plus loin puisqu’il se prosterne devant un autre dieu, Baal. Par le lien établi entre cette information et celle du mariage avec la princesse phénicienne Jézabel, le texte introduit un autre motif deutéronomiste, celui de l’idolâtrie introduite par des femmes étrangères. Par ailleurs, Akhab est impliqué dans plusieurs guerres, ce qui place son époque en fort contraste avec celle du prince de paix que fut Salomon/Shlomo. On peut ainsi considérer les ch. 20 et 22, malgré l'absence d'Élie, comme faisant partie du « cycle d'Élie ». On remarque aussi que les deux chapitres mentionnent un grand nombre de prophètes qui, en ces temps de crise, doivent porter la parole de Dieu avec force. D’une certaine manière, Élie est un prophète parmi d’autres qui participent à la même mission. Il n’est pas aussi isolé qu’il a pu le paraître au début du récit. Élie est en outre le seul prophète de la Bible excepté Moïse à nommer un successeur en la personne d’Élisée. On pourra lier cet aspect du récit à la nécessité induite par la situation de crise de l’époque : un seul prophète ne suffit plus, la multiplication des prophètes doit garantir que la volonté de Dieu, par une chaîne ininterrompue, soit connue et que sa parole soit efficace.

À partir d’une lecture strictement synchronique, on relèvera ainsi d’une part la critique deutéronomiste à l’encontre du royaume du Nord et, d’autre part, une veine de théologie prophétique qui justifie, semble-t-il, sur le plan de la composition du texte, l’insertion du personnage d’Élie à ce moment du récit, son lien avec Élisée, ainsi que la structure de l’ensemble du cycle, 1 Rois 20 et 22 inclus. Élie se trouve donc, à Samarie, en opposition constante avec la maison royale, dès les ch. 17 et 18. Ces chapitres peuvent être considérés, au sein du cycle, comme une séquence brève, structurée par le motif de la sécheresse. L’opposition se poursuit au ch. 19, où le prophète fuit devant la menace de mort prononcée par la reine Jézabel, mais également au ch. 21, lors de l’épisode du conflit relatif au vignoble de Nabot. En 2 Rois 1, Élie se trouve confronté au successeur du roi Akhab, Akhazias/Ahazya, et en 2 Rois 2,1-18 est relatée l’ascension d’Élie en présence d’Élisée.

En résumant ainsi les textes, mon travail exégétique manifeste une préférence pour les approches synchroniques.[4] En effet ces approches, et notamment l’approche narrativo-structurelle, se prêtent mieux aux analyses en terme de genre que les approches diachroniques ou historico-critiques. Je ne renoncerai pas, toutefois, dans le cours de mon développement, à prendre en compte la dimension historique du texte, en m’appuyant sur des résultats qui font consensus aujourd’hui.[5]

Par ailleurs, dans cette brève présentation de l’ensemble du cycle d’Élie, je mʼinscris dans une théologie biblique classique, étudiant la perspective et la théologie à l’œuvre dans les textes. En l’occurrence, il s’agit de la théologie deutéronomiste. En effet, la saisie de l’orientation du texte lui-même me paraît indispensable comme première étape de la lecture. Les perspectives de « genre »/« gender », cependant, nous feront dépasser le cadre d’une lecture affirmativo-reconstructive par le biais des approches critiques.

Enfin, j’ai esquissé une lecture centrée sur le personnage d’Élie, l’homme de Dieu. Les approches féministes de la Bible, développées à partir des années 1960/70 aux États-Unis puis en l’Europe de l’Ouest à partir des années 1970/80, rejetaient néanmoins déjà une telle focalisation sur l’homme comme centre du récit.

I - L’homme de Dieu et la veuve étrangère – féminisme, gender et différence / diversity

Dans le contexte de l’Allemagne de l’Ouest qui est le mien, les femmes, dès les années 1920, effectuaient leurs études de théologie dans des facultés de théologie protestante, facultés d’État principalement. Après l’interruption liée à la Seconde Guerre mondiale, dans la période de l’après-guerre, leur présence dans les facultés allait de pair avec l’effort d’être acceptées en tant que pasteurs de leurs églises, égales en droit avec leurs homologues masculins. Les facultés de théologie catholique furent fréquentées à partir des années 1970 par un nombre croissant de femmes lorsque les évêques allemands acceptèrent la collaboration rémunérée des laïcs dans les paroisses et les diocèses, sous réserve que ces derniers disposent d’une formation théologique comparable à celle des prêtres. Ces effectifs considérables ont formé peu à peu un contingent de femmes théologiennes, condition préalable à la naissance d’une théologie et d’une exégèse féministes. En effet, ce fut alors seulement que des femmes se trouvèrent en position, d’une part, de développer une réflexion théologique, et d’autre part, d’être entendues. Leur découverte et leurs critiques concernaient l’androcentrisme de la culture et l’organisation patriarcale des structures dominantes comme le système juridique. Plus encore, elles dénoncèrent l’androcentrisme de la symbolique chrétienne et le caractère patriarcal des institutions de l’Église. La Bible, en tant que document fondateur du christianisme, ne manqua pas d’être soumise à cette révision critique, d’autant que son caractère androcentré est patent dès ses premières pages où la création d’Adam est présentée comme première, celle d’Ève comme seconde. Une telle révision parut nécessaire car la Bible a exercé et exerce toujours une grande influence, non seulement sur les doctrines et les valeurs des Églises chrétiennes, mais aussi sur les sociétés civiles partout dans le monde où le christianisme s’est étendu.

Les lectures féministes de la Bible considèrent ainsi légitime d’adopter une herméneutique du soupçon envers les textes, leur caractère androcentré et le monde qui les sous-tend : monde patriarcal au sens où ses structures publiques et familiales sont dominées par l’homme en tant que père de famille, propriétaire et héritier. Mais beaucoup de ces lectures féministes ne sont pas restées dans la pure critique. Elles ont développé une herméneutique de la confiance dans les textes qu’elles n’abandonnent pas complètement, mais qu’elles retrouvent à travers le prisme de l’analyse critique. Les lectures féministes sont des lectures orientées, conscientes qu’elles ne sont pas objectives, objectivité entendue au sens d’une objectivité positiviste ou neutre qui, selon elles, n’est jamais possible. La théorie féministe implique une épistémologie et opère avec le parti-pris du bien des femmes.[6]

La confiance de ces théologiennes et exégètes féministes s’est appuyée sur les personnages féminins présents dans les textes bibliques. En les mettant au centre, on s’opposait à l’androcentrisme des textes. On put alors porter son attention sur le nombre non négligeable de figures féminines présentes dans les livres bibliques de la première partie de la Bible, l’Ancien Testament, souvent mal connues voire inconnues du christianisme. S’attachait à cette attention nouvelle l’espoir que le profil parfois surprenant des figures féminines permettrait de remettre en question les opinions dominantes dans la société et les églises, dont le caractère androcentré était inconscient ou considéré comme quasi naturel.


1. Une exégèse féministe de 1 Rois 17

Voici un exemple d’étude féministe « proto-genre » concernant le cycle d’Élie, l’interprétation de 1 Rois 17 que j’ai publiée en 1989 et que je présenterai en ses points essentiels.[7] Il me paraît utile de choisir ce point de départ pour montrer comment les catégories, la sensibilité et les questions évoquées ont évolué. Après cette lecture féministe, je prendrai du recul et expliciterai, selon la terminologie et les perspectives du genre, quelques-unes des lignes que j’ai avancées.

1 Élyahou, le Tishbi, l’un des habitants de Guil‘ad, dit à Ahab :

« Vive IHVH-Adonaï, l’Elohîms d’Israël, en face de qui je me tiens :

il ne sera pas, ces années, de rosée ni de pluie, sinon par la parole de ma bouche. »

2 Et c’est la parole de IHVH-Adonaï à lui pour dire :

3 « Va de là, fais face au levant. Cache-toi au torrent de Kerit, qui est face au Iardèn.

4 Et c’est du torrent, tu boiras, et les corbeaux, je leur ai ordonné de t’entretenir là. »

5 Il va et fait selon la parole de IHVH-Adonaï. Il va et habite au torrent de Kerit, qui est face à l’Iardèn.

6 Les corbeaux lui apportent pain et chair le matin, pain et chair le soir, et il boit du torrent.

7 Et c’est au bout des jours, le torrent s’assèche. Non, il n’était pas de pluie sur terre.

8 Et c’est la parole de IHVH-Adonaï pour dire :

9 « Lève-toi. Va à Sorphat qui est à Sidôn. Habite là.

Voici, j’ai ordonné là à une femme, une veuve, de t’entretenir. »

10 Il se lève, va à Sorphat et vient à l’ouverture de la ville.

Et voici, là, une femme, une veuve, ramasse des bois.

Il lui crie et dit : « Prends donc un peu d’eau pour moi dans un récipient, je boirai ! »

11 Elle va pour en prendre. Il lui crie et dit : « Prends donc pour moi une miche de pain, de ta main. »

12 Elle dit : « Vive IHVH-Adonaï, ton Elohîms, je n’ai pas une gaufrette ; à peine une pleine paume de farine dans la cruche, un peu d’huile dans la jarre ; et voici, j’ai ramassé deux bois, que je viens préparer pour moi et pour mon fils. Nous le mangerons puis nous mourrons. »

13 Élyahou lui dit : « Ne frémis pas ! Viens, fais selon ta parole. Mais fais-moi de là un petit gâteau, en premier.

Sors-le pour moi. Pour toi et ton fils, tu en feras en dernier.

14 Oui, ainsi a dit IHVH-Adonaï, l’Elohîms d’Israël : ‹ La cruche de farine ne s’achèvera pas, la jarre d’huile ne manquera pas, jusqu’au jour où IHVH-Adonaï donnera la pluie sur les faces de la glèbe ›. »

15 Elle va et fait selon la parole d’Élyahou. Elle mange, elle, lui et sa maison, des jours.

16 La cruche de farine ne s’achève pas, la jarre d’huile ne manque pas, selon la parole de IHVH-Adonaï, dont il avait parlé par la main d’Élyahou.

17 Et c’est après ces paroles, le fils de la femme, la maîtresse de la maison, tombe malade, et c’est sa maladie très forte, jusqu’à ce qu’il ne reste plus en lui d’haleine.

18 Elle dit à Élyahou : « Qu’est-il entre moi et toi, homme d’Elohîms ? Es-tu venu vers moi pour rappeler mon tort et mettre à mort mon fils ? »

19 Il lui dit : « Donne-moi ton fils. »

Il le prend de son sein, le monte à l’étage où il habite, et le couche sur son lit.

20 Il crie vers IHVH-Adonaï et dit : « IHVH-Adonaï, mon Elohîms ! As-tu méfait aussi contre la veuve chez qui je réside, pour mettre à mort son fils ? »

21 Il se mesure sur l’enfant trois fois, crie vers IHVH-Adonaï et dit : « IHVH-Adonaï, mon Elohîms ! Retourne donc l’être de cet enfant en son sein ! »

22 IHVH-Adonaï entend la voix d’Élyahou. L’être de l’enfant retourne en son sein. Il vit.

23 Élyahou prend l’enfant, le descend de l’étage dans la maison, et le donne à sa mère. Élyahou dit : « Vois ! Ton fils vit ! »

24 La femme dit à Élyahou : « Maintenant, cela je l’ai pénétré, tu es un homme d’Elohîms. La parole de IHVH-Adonaï, de ta bouche, est vérité. »[8]

On peut distinguer trois ou quatre unités dans le texte : le v. 1, annonce la sécheresse, sujet qui sera repris au début du ch. 18 ; les vv. 2 à 7 se déroulent au bord du torrent Kerit, les vv. 8 à 16, à l’entrée de la ville de Sorphat, et les vv. 17-24 dans une maison en ville.

Le personnage d’Élie apparaît clairement au centre de ces trois ou quatre épisodes. Une lecture féministe contesterait cette centralité et mettrait au centre non pas le prophète mais la femme.

La femme entre en scène au v. 9 seulement, par l’intermédiaire d’une parole de Dieu, mais cette parole fait écho à celle du v. 4b. Ainsi, quand la femme apparaît, la réminiscence des corbeaux se fait dans l’esprit de l’auditoire ; la femme fait pendant aux oiseaux comme moyen ou instrument par lequel sera nourri l’homme de Dieu au temps de la misère. La position narrative de la femme, sa mise en scène est extrêmement faible, ce qui pourrait justifier une herméneutique du soupçon : cette femme n’a pas de raison de n’être que pour le bien-être d’un homme. La manière qu’a Élie d’engager le dialogue avec la femme ne paraît pas plus appropriée : le texte hébreu donne wayyiqra, « il crie » dans la traduction d’André Chouraqui – pourquoi le prophète ne s’approche-t-il pas davantage de manière à s’adresser à la femme de façon respectueuse ? Il lui demande à boire et elle lui donne de l’eau de sa cruche, faisant preuve d’une bonne hospitalité. Mais quand il lui demande de lui donner « une miche de pain de sa main », elle avoue avoir seulement assez pour préparer un repas mortuaire à elle-même et son fils. Élie continue à la presser par ses requêtes ; il demande à recevoir, en premier, un morceau de pain. Encore une fois, la femme fait ce qu’il exige sans mot dire (cf. v.15) : Est-ce une preuve de courage résultant d’un désespoir profond ?

La suite du texte présente un écart ketiv/qeré qui montre que le sens du passage a été l’objet de discussion par ses lecteurs rabbiniques : à la suite de l’affirmation selon laquelle c’est la femme qui mange, les consonnes (ketiv) donnent à lire le pronom personnel masculin suivi du féminin, « lui et elle » donc, tandis que le qeré propose l’inverse, « elle et lui ». Le ketiv donne raison à l’exigence du prophète (« donne-moi le premier ») ; le qeré, au contraire, met la femme en première, en accord avec la forme verbale au féminin. Les lettres mêmes du texte semblent donc être le lieu d’un affrontement ; cet affrontement se conclut en faveur du féminin, car c’est le féminin qui est prononcé et entendu (qeré). Les lecteurs rabbiniques qui ont proposé la vocalisation du texte se sont placés du côté de la femme.[9]

Jusqu’ici j’ai parlé de la femme sans précision. Le texte biblique en revanche est plus précis. Il s’agit d’une ’ishah ’almanah, une femme veuve, qui a perdu son mari et qui a un fils qui n’est évidemment pas encore en âge de l’aider. Le sort des veuves, si l’on en croit les textes bibliques considérés comme témoignages des conditions sociales de leur temps, était misérable lorsque le mari n’avait pas laissé de fortune comme l’a fait celui de Judith (dans le livre de Judith). Voici l’arrière-plan du récit : la veuve et son fils se trouvent dans un état de dénuement extrême. Il en va de même d’Élie lors de son arrivée à Sorphat ; l’homme se trouve également dans une situation de misère. Le texte biblique illustre donc la solidarité entre des personnes indigentes, ce qui a son importance dans la perspective d’une exégèse et d’une théologie sensibles aux injustices sociales. À l’époque où j’ai fait mes études, la théologie de la libération était un mouvement largement répandu en Europe de l’Ouest et pour moi cette dimension est devenue essentielle depuis. Mon approche féministe s’est jointe à l’engagement en faveur des pauvres, mais le récit qui nous intéresse ici m’a enseigné que, parmi les pauvres, les femmes et les enfants souffrent souvent bien davantage, soit qu’un mari ou un père manque à les soutenir, soit, au contraire, que les hommes exercent de la violence contre elles. L’attention portée à l’injustice des structures économiques et politiques devait être complétée par une attention portée aux structures familiales et personnelles. Le personnel est politique et le politique est personnel – ce slogan féministe paraît d’autant plus valide dans des conditions de pauvreté.

Le texte biblique apporte un autre détail : la veuve en question est une Sidonienne, une Phénicienne et non une Israélite ; elle vit en dehors du royaume d’Israël et est, aux yeux d’Élie aussi bien qu’aux yeux de la voix narrative,[10] une femme étrangère. Cette observation s’applique réciproquement au prophète, à partir du point de vue de la veuve : il vient de l’étranger. La rencontre se fait donc sur un terrain précaire, entre deux personnages en état de fragilité.

Enfin, il faut faire un cas de la dimension « religieuse » du dialogue. La femme semble savoir que l’homme s’approchant de la porte de la ville est un prophète du Dieu d’Israël, car elle prononce un serment au nom de YHVH (1 Rois 17,12), tout comme Élie l’avait fait face au roi Akhab (1 Rois 17,1). Par ce trait narratif, elle est mise au même niveau que le prophète israélite, elle, simple veuve étrangère qui n’habite pas le territoire du Dieu d’Israël et qui n’a pas de raison de croire en son pouvoir. Avec le courage du désespoir, elle ose avoir confiance dans la parole du prophète. Et ses espoirs se voient réalisés par la suite. Une femme étrangère a ainsi fait l’expérience du pouvoir du Dieu d’Israël en dehors d’Israël. Le prophète était envoyé à cette veuve pour qu’elle subvienne à ses besoins, mais sans elle, son action n’aurait pu avoir lieu, et finalement, comme le dit le v. 15, elle mange, avec sa famille, aux côtés du prophète.

Passons maintenant à la dernière séquence du chapitre (1 Rois 17,17-24). On a souvent souligné la structure circulaire de ce paragraphe. Le personnage de la femme y a le premier et le dernier mot ; elle tient donc une position importante dans ce récit. Le texte semble d’ailleurs faire allusion à une position sociale moins misérable qu’auparavant : elle est ici désignée comme ba‘alat habbayit ; « maîtresse ou propriétaire de la maison ».[11]

La femme et son fils, sauvés de la famine, sont alors soumis à une nouvelle épreuve ; le fils tombe malade et cesse de respirer.[12] La femme accuse la présence du prophète d’avoir provoqué ce malheur. Plus précisément, elle établit un lien entre un tort ou une faute antérieurs qu’elle aurait commis et la maladie mortelle de son fils, de sorte que l’état critique de l’enfant est à ses yeux la conséquence d’un tort que la simple présence du prophète rend visible. Lors de la famine, elle a pu faire l’expérience du pouvoir bienfaisant du Dieu d’Élie ; maintenant elle semble percevoir sa force négative, et c’est à ce moment-là qu’elle l’appelle « homme de Dieu », ’ish ha’elohim, au moment où cet homme devient une menace pour elle.

Élie exige à nouveau de la femme qu’elle lui donne : « donne-moi ton fils ». Sans attendre que la femme s’exécute, il prend le garçon et le monte sur le toit de la maison. Il met une distance entre elle et lui, et s’approche, si l’on veut, des hauteurs, le domaine des dieux tels que YHVH, mais aussi Baal qui, dans les textes d’Ougarit, porte le surnom d’ ‘aliyan ba‘al. Il faut en effet se souvenir que l’histoire se déroule sur le territoire de Sidon, pays d’origine de la reine Jézabel qui, à Samarie, alimente les prophètes de Baal à sa table (cf. 1 Rois 18,19). Sous cet angle, une nouvelle lutte pour le pouvoir intervient : le Dieu d’Élie aura-t-il la force de sauver l’enfant de la mort, en dehors du territoire d’Israël, en plein territoire du dieu Baal ? Le motif du tort de la femme semble aller de pair avec ces questions. Élie ose reprocher à son Dieu de commettre une injustice en livrant l’enfant à la mort. Il s’engage devant elle, lorsqu’il répond à la question de la femme, entre désespoir et reproche (17,18) : « Qu’y a-t-il entre moi et toi ». L’existence éventuelle d’un tort du côté de la femme n’intéresse pas Élie ; mais la mort de l’enfant manifesterait un visage malveillant de Dieu et c’est ce qui le préoccupe. Le v. 22 constate que Dieu entend la voix d’Élie, par le recours à une formule qu’on rencontre souvent dans la Bible hébraïque lorsque le peuple d’Israël crie en direction de son Dieu, et, à la fin de ce verset, on apprend que l’enfant « vit ». Comme il est monté (v. 19), Élie descend (v. 23), et comme il a pris l’enfant à sa mère, il le prend maintenant et le lui rend. La dernière parole de la femme au v. 24 est une confession à Dieu qu’elle n’appelle plus, en le mettant à distance, « ton Dieu », mais simplement, de son nom, YHVH. La voix du narrateur souligne qu’elle a compris que le Dieu d’Israël est le seul à mériter cette désignation.

Le dernier mot de la femme ne porte pas sur une vérité philosophique ou intellectuelle à laquelle elle aurait eu accès, mais plutôt sur la fidélité, ce en quoi l’on peut avoir confiance, et implique donc une relation. Une glose possible serait : « J’ai compris que l’on peut faire confiance à la parole de Dieu telle que ta bouche la transmet ». La femme qui s’était désespérément demandé quel était le sens de sa relation avec l’homme de Dieu au moment où elle voyait son fils perdre conscience, peut maintenant affirmer que cet homme de Dieu lui a rendu confiance en lui grâce à son Dieu.

Cette confession de foi au Dieu qui s’est révélé par Élie est d’ailleurs une anticipation de la confession du peuple sur le mont Carmel que le chapitre suivant (1 Rois 18) racontera. Une veuve étrangère, une femme vivant dans un territoire dominé par le dieu Baal, confesse sa foi dans le Dieu d’Israël ; elle est impressionnée par le pouvoir de ce Dieu sur la vie et la mort, et ce, avant que le peuple d’Israël ne témoigne du même mouvement de conversion en YHWH, au détriment du dieu Baal.

C’est cette logique du récit qu’a adopté l’Évangile de Luc lorsqu’il s’y réfère. Jésus est revenu à Nazareth et va à la synagogue de sa patrie. On lui donne à lire la haftarah du prophète Isaïe, Jésus applique alors ces paroles prophétiques à lui-même et donne des explications supplémentaires (Luc 4,24-28) :

24 Et Jésus dit : « En vérité, je vous le dis, aucun prophète nʼest bien reçu dans sa patrie.

25 Assurément, je vous le dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours dʼÉlie, lorsque le ciel fut fermé pour trois ans et six mois, quand survint une grande famine sur tout le pays ; 26 et ce nʼest à aucune dʼelles que fut envoyé Élie, mais bien à une veuve de Sarepta, au pays de Sidon. 27 Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Élisée ; et aucun dʼeux ne fut purifié, mais bien Na’aman, le Syrien. »
28 Entendant cela, tous dans la synagogue furent remplis de fureur –

et l’on va jusqu’à repousser Jésus hors de la ville, jusqu’à un escarpement, pour l’en précipiter.

Hostilité ouverte donc des habitants de Nazareth envers un fils de la ville parce qu’il ose montrer que le proverbe selon lequel aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie se laisse vérifier en parcourant l’histoire de son peuple.

Ce texte a pu être lu, dans certains commentaires chrétiens, comme l’expression de l’hostilité juive envers le Christ ; cette lecture s’inscrit dans le prolongement de l’héritage anti-juif qui accompagne l’histoire du christianisme depuis ses débuts. En Allemagne, une vive controverse a eu lieu dans les années 1980, au sujet de l’antijudaïsme présent dans la théologie et l’exégèse féministes, et on ne peut pas nier que certaines féministes chrétiennes ont ridiculisé le patriarcat juif dans leur lecture de la Bible pour le placer en opposition parfaite avec le comportement et les paroles de Jésus.

Dans ce contexte, il me paraît nécessaire de rappeler que le Jésus de l’Évangile de Luc se comporte en homme juif avec ses compatriotes juifs. Certes, les Évangiles cherchent à comprendre pourquoi Jésus n’a pas été suivi par une partie des juifs, mais, dans cet extrait, on assiste bel et bien à une controverse entre personnes juives. Les versets en question pourraient être compris comme une légitimation de la prédication chrétienne aux non-juifs, mais il ne faudrait pas oublier que l’ouverture du judaïsme aux « nations » existait avant l’arrivée de Jésus. Contrairement à une tendance de la lecture traditionnelle des Évangiles qui en fait les témoins chrétiens d’une polémique contre les juifs, une théologienne féministe pourrait souligner, que, face à l’existence de traditions anti-juives dans le christianisme, la critique du patriarcat biblique n’est pas compatible avec le dénigrement des juifs. À mon sens, cette attention à la présence d’un antijudaïsme chrétien ou d’un antisémitisme séculier revêt une grande importance, d’autant que l’option féministe ne supporte pas de discriminations, quelles qu’elles soient. J’en proposerai une formulation positive : en tant que chrétienne, portée par la racine de l’olivier du judaïsme, pour reprendre le mot de Paul à la communauté romaine (cf. Romaines 11,18), tout m’invite au respect de cette religion et de son peuple.[13]

Voilà une des priorités en matière d’exégèse féministe que je partage avec bien d’autres, notamment avec les femmes auteurs du Compendium d’exégèse féministe ;[14] je citerai ainsi, parmi d’autres, quatre priorités de cette approche : la focalisation sur les personnages féminins, entre une herméneutique du soupçon et une herméneutique de la confiance dans les textes bibliques ; le désir d’une égalité des droits entre femmes et hommes qui conduise à la reconnaissance égale de valeurs et visions du monde développées par des femmes ; l’option préférentielle pour les pauvres et l’attention portée la précarité sociale ; l’engagement actif contre l’antijudaïsme et l’antisémitisme.


2. Réflexions à partir d’une perspective de « genre »

À l’époque où je rédigeais mon analyse d’1 Rois 17, l’amorce d’un débat autour du concept de « genre » existait déjà, en sociologie notamment. Dans les domaines de la théologie et de l’exégèse féministes, la réception de ce débat intervint avec un certain retard et selon des tournures spécifiques. Celles qui avaient lu Simone de Beauvoir le savaient :

« On ne naît pas femme, on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin… ».[15]

La validité de la thèse de Simone de Beauvoir affleure dans les recherches et les observations historiques : si, par exemple, la mise au monde des enfants est le rôle des femmes, le culte de la maternité reste toutefois un phénomène des temps modernes, lié à une économie d’abondance relative. « L’amour en plus » des mères n’est pas un instinct naturel, mais un sentiment soumis à des variations dans l’Histoire, comme Élisabeth Badinter l’a montré.[16] Voilà le fondement de la distinction entre le sexe biologique tel qu’il nous est assigné à la naissance et le genre, ensemble des attributs du féminin et du masculin qu’une société offre et que la socialisation et l’éducation produisent et reproduisent.[17]

Selon moi, la catégorie du genre fut, pour nous, théologiennes et exégètes féministes allemandes, un outil bienvenu parce qu’elle nous permettait d’analyser les femmes dans leur pluralité, d’être attentives à cette diversité, plutôt qu’à l’uniformité issue d’un substrat biologique commun. L’attention fut ainsi portée sur les nombreuses différences comme celles de culture, de couleurs de peau, dʼéducation, de religion, notamment, mais aussi sur le potentiel de ces femmes innombrables et infiniment différentes. On chercha à embrasser le spectre de la diversité entre les femmes, à être sensible aux conditions de vie très variées et ainsi à construire des solidarités entre les femmes. Pour ce faire, il n’était pas nécessaire de partir d’un sexe naturel donné, mais il suffisait de chercher les êtres humains auxquelles, dans chaque société, on assignait le nom de « femme ». La question de la place qu’il faut donner à la ou les relations entre sexe et genre – et, ultimement, celle de la nature du lien entre les concrétisations d’un sexe spécifique et les représentations sociales attachées à un genre –, question sur laquelle je reviendrai, n’était pas encore formulée. Du point de vue des théologiennes féministes, les sciences sociales, qui commençaient à penser ces relations entre sexe et genre, ne tenaient pas suffisamment compte du fait que sexe et genre sont liés de manière indépassable à une différence de contexte, comme je viens de le souligner. Dans une perspective féministe, soucieuse de ses implications sociales et politiques, l’oubli du contexte semblait révéler un problème plus complexe. C’est ainsi que j’explique l’évolution, un temps divergente, du débat entre théologie et exégèse féministes d’un côté, et les sciences sociales, de l’autre, en Allemagne.[18]

Je reviens donc à 1 Rois 17, à l’aide du prisme de la distinction entre sexe et genre, que j'appliquerai à mes analyses concernant « la femme » dans le texte. Je répéterai d’emblée que cette femme est une Sidonienne, une étrangère, qu’elle n’appartient donc pas au peuple d’Israël, et que l’ensemble du bref récit est placé sous ce signe. La femme est caractérisée par la suite comme veuve, c’est-à-dire qu’elle a perdu son mari, mais elle a un fils. Il apparaît immédiatement que, si ces relations reposent sur le sexe, c’est bien la culture, ici la culture de l’Israël ancien, qui décide de la manière dont se déroule la vie d’une femme en tant qu’épouse, mère ou veuve. Comme Carol Meyers l’a exprimé lors de son adresse présidentielle au congrès de la Society of Biblical Literature (nov. 2013),[19] le terme de patriarcat si cher aux féministes des années 1970-1980 est trop imprécis pour couvrir les structures d’une société comme l’était celle de l’Israël du temps de la Bible. On ne peut pas dire que la domination des hommes sur les femmes se soit faite sans exception, uniformément; la domination masculine ne se laisse d’ailleurs pas déduire entièrement du pouvoir du père, contrairement à ce que suggère le terme de « patriarcat ». Il n’en demeure pas moins vrai qu’une fille restait sous l’autorité de son père jusqu’à son mariage avant de passer ensuite sous l’autorité de son mari. Mais même alors, les différences sont patentes, que ce soit entre les lois du Pentateuque et les récits bibliques ou entre un récit et l’autre. Le récit de Genèse 24, par exemple, qui raconte le voyage du serviteur d’Abraham en Mésopotamie pour y trouver une épouse pour Isaac, ne mentionne pas un père de Rébecca, mais seulement une mère et un frère. On peut en conclure que le père de Rébecca a plusieurs femmes et que les mariages se règlent au sein même de chaque unité formée par les femmes et leurs enfants ; les garçons, les frères de leurs sœurs donc, assurent la fonction du père, mais non sans que la mère ait son mot à dire. Le droit régissant la sphère familiale est organisé suivant les liens de la parenté, parenté matrilinéaire dans le cas de Genèse 24. La codification du mariage dans l’Israël ancien est structurée selon des principes de généalogie, mais cela n’implique ni une domination univoque du père, ni une stricte exclusion des femmes.

La veuve du cycle d’Élie se trouve dans un état de misère. Il lui est impossible de demander à son beau-père un autre de ses fils comme époux, comme l’a fait Tamar avec son beau-père Juda (cf. Genèse 38), car elle a déjà un fils qui continuera le nom du père décédé – fils qui n’échappe d’ailleurs pas à la misère, lui non plus. Le récit ne fait pas mention de l’existence d’une famille pour cette femme, ni du côté du mari, ni du côté de ses parents. Le récit semble justement souligner cette situation de vulnérabilité ; il présente la femme et son fils en tant que veuve et orphelin, orphelin dans le sens de « privé de père », et fait ainsi porter l’attention, par le jeu de l’intertextualité, sur les prescriptions de la Torah qui protègent tout spécialement ce groupe en Israël en le plaçant sous la protection de Dieu lui-même. Nous sommes donc à nouveau en présence d’un aspect théologique intéressant : par l’intermédiaire de son prophète, le Dieu d’Israël aurait porté sa main protectrice sur une veuve et un orphelin étrangers au sol d’Israël. Le pouvoir protecteur de ce Dieu n’est dès lors pas restreint au territoire du royaume d’Israël.

 

La distinction entre sexe et genre, ou plutôt le brouillage de cette dernière, permet d’appréhender plus clairement une autre dimension du récit. Passons à la dernière scène qui raconte la maladie mortelle du fils de la femme, et lisons encore une fois la première partie du v. 19 :


וַיֹּ֥אמֶר אֵלֶ֖יהָ תְּנִֽי־לִ֣י אֶת־בְּנֵ֑ךְ וַיִּקָּחֵ֣הוּ מֵחֵיקָ֗הּ

Il lui dit : « Donne-moi ton fils. »

Il le prend de son sein.

 

Le ḥêq, traduit par sein, désigne la partie du corps qui s’étend de la poitrine jusqu’au ventre. On imagine que la femme est assise; elle tient le corps de l’enfant dans ses bras et elle le presse contre son corps, ou, si l’enfant est plus grand, il est assis sur ses genoux, la partie supérieure de son corps penchée contre sa mère. L’enfant se trouve en tout cas à l’endroit même où il se trouvait à sa naissance. Mais il n’est alors plus vivant comme jadis ; la mère qui lui a donné la vie a adopté la posture d’une pietà. En revanche, l’homme de Dieu prend l’enfant, le met sur son lit et se mesure trois fois sur lui – « se mesurer » est la traduction littérale du hapax legomenon, le verbe madad, mesurer, au hitpa‘el. Selon d’autres traductions, Élie s’étend sur l’enfant, il se met donc en situation de contact physique étroit avec lui. Il peut ensuite déclarer à la mère : « Voilà ton fils est vivant ». L’épisode pourrait être résumé ainsi : le corps de la femme, la mère, est devenu le site de la mort, tandis que le corps de l’homme a donné la vie. En termes de genre, il s’agirait d’un « gender shifting », d’un déplacement de genre. Il est question, en effet, d’un transfert de la capacité de la femme à donner la vie à un enfant, sa force vitale, à l’homme, homme de Dieu. Ici, la perspective féministe et la perspective du genre pourraient entrer en contradiction : ne s’agit-il pas d’un vol, dirait la féministe, l’accaparement par le mâle d’un pouvoir féminin? N’est-ce pas un signe de la flexibilité des attributs biologiques, dirait la chercheuse en genre, un signe que, déjà dans la culture de la Bible hébraïque, la pensée, l’imagination, n’est pas attachée par des chaînes indissolubles à la nature, à un destin biologique ? La féministe se demanderait alors à qui bénéficie ce transfert. La femme serait-elle associée à la mort, à deux reprises dans le texte ? Au v. 18, la femme crie en effet : « tu es venu pour rappeler mon tort et mettre à mort, faire mourir mon fils », tandis qu’au v. 12, elle disait déjà au prophète : « nous mangerons et nous mourrons ». Et l’homme apparaîtrait-il en sauveur ? Mon soupçon concerne ici l’ordre symbolique du récit, l’archétype qu’il mobilise : celui du féminin éternel, éternellement dépendant du secours de l’homme. La perspective du « genre » semble banaliser cette inégalité flagrante. Je constate que jusqu’à présent, il existe une certaine réserve vis-à-vis de l’approche en termes de genre chez certaines féministes, car elles craignent que la critique de l’androcentrisme, une critique toujours nécessaire, soit oubliée.

3. La grande femme de Shunem : 2 Rois 4,8-37

Des lecteurs et lectrices attentives de la Bible s’aperçoivent que les récits d’Élie et la femme de Sorphat en 1 Rois 17 constituent un parallèle littéraire assez proche à 2 Rois 4, l’histoire de la femme de Shounem et du prophète Élisée. L’exégèse discute du sens dans lequel il faut voir la dépendance littéraire ; il est plus simple, selon moi, de voir dans 1 Rois 17 un remodelage de 2 Rois 4. Pour ce que je voudrais montrer et ma lecture du texte selon une perspective qui distingue sexe et genre, la question n’a pas à être tranchée.

Élisée a pris le manteau d’Élie (2 Rois 2,12-14) et a donc accepté de lui succéder ; il est appelé aux secours par une femme qui a perdu son mari et qui se trouve seule avec les dettes qu’il a contractées au point que le créancier est arrivé pour prendre ses deux fils avec lui. Élisée fait couler de l’huile que la femme pourra vendre pour payer ses dettes (2 Rois 4,1-7). Nous sommes donc en présence d’une histoire qui donne des détails concrets sur la misère sociale de la femme, mais qui s’intéresse aussi aux traits miraculeux de l’action d’Élisée. Il en va de même avec les scènes situées à la fin du chapitre : une plante toxique menace la vie de sa communauté, Élisée la neutralise ; une hache de fer est tombée dans la rivière ; Élisée la fait surgir, et finalement, une multiplication de pains a lieu. Élisée est donc un grand thaumaturge, et diffère en cela d’Élie.

Le récit poursuit (2 Rois 4,8-37) :

8 Et c’est le jour, Èlisha‘ passe à Shouném. Là, une grande femme le force à manger le pain. Et c’est à chaque passage, il s’écarte là pour manger le pain.

9 Elle dit à son homme : « Voici donc, j’ai pénétré que l’homme d’Elohîms est consacré. Il passe chez nous en permanence.

10 Faisons donc un petit mur d’étage. Mettons là pour lui un lit, une table, un siège, un candélabre. Et c’est à sa venue vers nous, il se retirera là. »

11 Et c’est le jour, il vient là, se retire à l’étage, et couche là.

12 Il dit à Guéihazi, son adolescent : « Appelle cette Shounamit. » Il l’appelle. Elle se tient face à lui.

13 Il lui dit : « Dis-lui donc : Voici, tu as vibré pour nous de toute cette vibration. Que faire pour toi ? Faut-il parler pour toi au roi ou au chef de la milice ? »

Elle dit : « Moi-même j’habite au milieu de mon peuple. »

14 Il dit : « Que faire pour elle ? » Guéihazi dit : « Elle n’a pas de fils, et son homme est vieux ! »

15 Il lui dit : « Appelle-la ! » Il l’appelle. Elle se tient à l’ouverture.

16 Il dit : « À ce rendez-vous, comme à temps vif, toi, tu étreindras un fils. » Elle dit : « Non, mon Adôn, homme d’Elohîms ! Ne trompe pas ta domestique. »

17 La femme est enceinte et elle enfante un fils à ce rendez-vous, comme à temps vif, ce dont lui avait parlé Èlisha‘.

18 L’enfant grandit. Et c’est le jour : il sort vers son père auprès des moissonneurs.

19 Il dit à son père : « Ma tête, ma tête ! » Il dit à l’adolescent : « Porte-le à sa mère. »

20 Il le porte et le fait venir à sa mère. Il reste sur ses genoux jusqu’à midi puis il meurt.

21 Elle monte, le couche sur le lit de l’homme d’Elohîms, ferme derrière lui et sort.

22 Elle appelle son homme et dit : « Envoie-moi donc un des adolescents et l’une des ânesses. Je courrai jusqu’à l’homme d’Elohîms et je reviendrai. »

23 Il dit : « Pourquoi vas-tu à lui aujourd’hui ? Ce n’est pas la lunaison ni le shabat. » Elle dit : « Shalôm. »

24 Elle selle l’ânesse et dit à son adolescent : « Conduis. Va. Ne m’arrête de chevaucher que si je te le dis. »

25 Elle va et vient à l’homme d’Elohîms, au mont Karmèl. Et c’est quand l’homme d’Elohîms la voit en face, il dit à Guéihazi, son adolescent :

« La voilà, cette Shounamit.

26 Maintenant, cours donc à son abord. Dis-lui : Paix sur toi ? Paix sur ton homme ? Paix sur l’enfant ? » Elle dit : « Shalôm, Paix. »

27 Elle vient à l’homme d’Elohîms, sur la montagne, et étreint ses pieds. Guéihazi s’avance pour la bouter dehors.

L’homme d’Elohîms dit : « Relâche-la ; oui, son être est amer en elle : IHVH-Adonaï me l’a caché. Il ne me l’a pas rapporté. »

28 Elle dit : « Ai-je demandé un fils à mon Adôn ? N’ai-je pas dit : ‹ Ne m’illusionne pas › ? »

29 Il dit à Guéihazi : « Ceins tes hanches, prends ma houlette dans ta main. Va, oui, tu trouveras un homme, tu ne le salueras pas.

Oui, un homme te saluera, tu ne lui répondras pas. Mets ma houlette sur les faces de l’adolescent. »

30 La mère de l’adolescent dit : « Vive IHVH-Adonaï, vive ton être : je ne t’abandonnerai pas. » Il se lève et va derrière elle.

31 Guéihazi passe devant eux et met la houlette sur les faces de l’adolescent. Mais pas de voix, pas d’attention.

Il retourne à son abord et lui rapporte pour dire : « Il ne s’est pas réveillé, l’adolescent. »

32 Èlisha‘ vient à la maison. Voici, l’adolescent est mort, couché sur son lit.

33 Il vient, ferme la porte derrière eux deux. Il prie IHVH-Adonaï.

34 Il monte et se couche sur l’enfant. Il met sa bouche sur sa bouche, ses yeux sur ses yeux, ses paumes sur ses paumes.

Il se recroqueville sur lui. La chair de l’enfant se réchauffe.

35 Il retourne et va à la maison, ici et là. Il monte et se recroqueville sur lui. L’adolescent éternue jusqu’à sept fois, puis l’adolescent dessille ses yeux.

36 Il appelle Guéihazi et dit : « Appelle cette Shounamit. » Il l’appelle. Elle vient à lui et il dit : « Emporte ton fils. »

37 Elle vient, tombe à ses pieds, se prosterne à terre, emporte son fils et sort.[20]

En comparaison avec le récit de la femme de Sorphat, cette histoire est bien plus « charnelle », sensuelle, et elle peut être lue, à mon sens, comme réflexion sur le triangle mère-père-enfant. La distinction entre sexe et genre, mais aussi les perspectives de « genre », dans un sens plus large qui inclut les dimensions du désir et/ou des sexualités, m’aideront à préciser ma lecture.[21]

L’exposition nous présente une « grande femme » en plusieurs sens (’ishah gedolah); une femme très énergique qui exerce une contrainte physique sur un homme, l’homme de Dieu, Élisée. Chouraqui rend bien ainsi le verbe ḥazaq (v. 8) construit avec la préposition be-. La femme contraint Élisée à manger, il s’agit donc d’un moment d’hospitalité étrange, entre alimentation forcée et pénétration symbolique. Cette femme est d’emblée caractérisée de façon inattendue, à rebours des clichées féminins de douceur et de réserve. Le fait que Chouraqui traduise le ’ish du v. 9, désignant son mari, également par « homme », souligne que, dès le départ, cette femme évolue entre deux hommes. Comme c’est elle qui prépare elle-même une demeure pour l’homme de Dieu, on pourra relever qu’elle s’est placée entre deux hommes de son propre chef.

Élisée s’aperçoit de ses efforts : il voit qu’elle frémit, qu’elle vibre (v. 13), comme Chouraqui traduit le verbe ḥarad. Au lieu de parler de la Shounamite, de la femme venant de Shounem, Chouraqui met la forme Shunamit qui évoque un nom propre et qui fait allusion au Cantique des Cantiques avec la Shulamit/Sulamite ou Shunamit qui danse (Cantique des Cantiques 7,1), donc une image érotique. Cette interprétation ne va pas à l’encontre du texte et de ses subtiles allusions.

Le serviteur d’Élisée, un naʽar, un adolescent ou jeune homme, attire l’attention sur le fait que la femme n’a pas de fils, mais un mari qui est vieux. À la surface du dialogue affleure le péril social que représente la mort prochaine du mari et l’absence de descendant, c’est-à-dire, pour la femme, l’absence de protection, dans le contexte d’une société patriarcale. Sous la surface cependant transparaît un message sexuel, un problème entre mari et épouse. Élisée lui laisse entrevoir qu’elle serrera un fils dans ses bras, une tournure sensuelle qui met en relief le lien étroit entre l’enfant et elle, mais qui semble aussi lui offrir un autre mâle. Elle réagit en soulignant la distance hiérarchique entre elle et lui (« mon ’adôn » – « ta servante »), mais aussi en répétant son titre « homme de Dieu », évoquant ainsi son interlocuteur en tant qu’« homme » – elle semble ne pas désirer un enfant mâle, mais bien l’homme devant elle. Chouraqui en rajoute en traduisant au v. 19 la-mo‘ed hazzeh par « à ce rendez-vous », ce qui est possible car mo‘ed renvoie au temps et à l’espace. Le texte semble donc suggérer que c’est lors de la rencontre entre Élisée et la femme qu’elle est tombée enceinte.

La scène suivante situe le fils à côté de son père qui, d’après le contexte, se trouve être le mari de la femme. L’exclamation du fils s’entend d’abord comme un cri dû à des maux de tête; mais rosh peut aussi faire référence à un chef, à quelqu’un qui détient le pouvoir. Lu de cette manière, il est significatif que le père envoie le garçon à sa mère – il abandonne alors l’enfant et transmet la place de chef à la femme.

C’est elle en effet qui met tout en œuvre pour voir Élisée et lui reprocher de l’avoir trompée. La suite se lit comme le passage de l’enfant à l’adolescence par le truchement d’un rite durant lequel l’homme, homme de Dieu, transmet son énergie à l’enfant, tandis que l’autre adolescent, Guéhazi, le serviteur d’Élisée, n’est pas encore prêt. Il est intéressant de remarquer que le mot français « houlette » désignant le bâton d’Élisée que Guéhazi doit appliquer sur l’enfant, connote le fait de diriger, d’être en tête, comme le mot hébreu correspondant, mish‘enet. Ni le père du fils, ni l’adolescent, le serviteur d’Élisée, ne sont capables de représenter le rosh dont le garçon a besoin pour devenir adulte lui aussi. Le bâton appliqué sur l’enfant donne aussi une dimension sexuelle, homo-sexuelle, à la scène.

En comparant ce récit avec celui du cycle d’Élie, on pourrait résumer cet épisode ainsi : 2 Rois 4,8-37 est l’histoire d’une famille dans laquelle la femme tient une place forte, active, la place du « patriarche » social, au lieu de son mari. D’autre part, elle se lie à un autre homme, l’homme de Dieu, et cette liaison véhicule un implicite (hétéro-)sexuel. Le fils de la femme, par contre, a besoin de l’homme de Dieu et de sa force, sexualité y compris, pour entrer dans la vie (des adultes).


II - Des men’s studies aux études de masculinité et aux queer studies

Avant l’émergence des études de genre et en réaction au mouvement féministe, les « men’s studies » se sont établis aux États Unis en deux branches prévisibles : une que l’on peut appeler pro-féministe, qui acceptait les analyses féministes de l’inégalité sociale des femmes et des privilèges masculins institués par les lois et la société. Les hommes adoptant cette perspective étaient prêts à renoncer à leurs privilèges, donc prêts à soutenir des changements de structures sociales, politiques, économiques, en faveur des femmes, comme l’égalité de rémunération à travail égal. Ils consentaient aussi à prendre conscience de leurs comportements individuels envers les femmes, de la discrimination quotidienne. La distinction entre sexe et genre leur permettait de mieux décrire et d’analyser l’état de la question et ses implications : pour reprendre la formule de Simone de Beauvoir, un homme n’est pas plus né homme qu’une femme, il le devient, à travers sa socialisation en famille, à l’école, par les groupes de jeunes du même âge, par le service militaire, pour ne citer que quelques exemples. Pour les hommes pro-féministes, ce type d’analyses a un double avantage : il permet non seulement de reformuler la solidarité avec les femmes, mais aussi de mieux se comprendre eux-mêmes, de mieux comprendre ce que signifie être « homme » dans une société donnée. Et c’est cette dernière question qui a constitué, à partir d’une réaction au féminisme, une ligne de recherche propre, les études de masculinité, qui s’inscrivent dans le constructivisme social en s’intéressant à la construction sociale des genres.

En Allemagne, les études de genre entreprises par des hommes, sociologues et pédagogues d’abord, apparaissent vers le milieu des années 1990.[22] Cette ligne de recherche a pris vers l’an 2000 un élan particulier lorsque le livre du sociologue australien Robert Connell, publié cinq ans auparavant et intitulé Masculinities, a été traduit en allemand ; il s’agit bien des masculinités au pluriel.[23] Mais avant tout, il faut dire un mot de la publication qui a révolutionné les études de genre, le livre de la philosophe américaine Judith Butler, Gender Trouble, publié en 1990, traduit en allemand l’année suivante, et en français sous le titre « Trouble dans le genre », quinze ans plus tard, en 2005. Connell et surtout Butler ont été lus et repris pour les études de genre appliquées à la théologie.

À côté de la ligne pro-féministe s’est développée une deuxième branche, sous le terme générique de men’s studies, qui s’intéresse à des dimensions psychiques et anthropogénétiques et qui s’appuie sur la psychanalyse, sur la mythologie et sur certains courants de l’ethnologie structurale.[24] En résultent des analyses qui mettent plutôt l’accent sur des structures quasi invariantes, des structures qu’il s’agit donc d’accepter et de vivre. Ce courant des men’s studies utilise la distinction entre sexe et genre pour montrer que les hommes ont perdu leur masculinité authentique sous la contrainte des sociétés modernes lorsque, par exemple, la camaraderie s’est mue en rivalité. Il exerce aussi un certain soupçon à l’égard du féminisme et de ses exigences d’égalité. Au fond, ils favorisent le sexe, c’est-à-dire le rôle (pré-)déterminant d’une nature masculine avec laquelle il faudrait renouer contact. Aux États-Unis et en Allemagne, ils sont connus sous le nom de mythopoètes, et on les retrouve dans certains mouvements qui proposent aux hommes des thérapies de groupe où ils ont l’occasion de vivre des expériences dans des situations extrêmes, généralement exposés à la nature sauvage, loin de la civilisation.[25]


1. « Masculinité/s » : l’approche de David Clines

Appliquées à la Bible hébraïque, les études de la « masculinité » ont trouvé une première illustration en 1995, avec une étude de l’exégète australo-britannique David Clines consacrée à « David the man », « l’homme David ».[26] En traçant le portrait du personnage biblique de David, Clines montre comment une étude exégétique qui s’intéresse aux hommes de la Bible, « hommes » compris dans l’acception de « mâles », peut opérer. Une difficulté se pose en effet puisque, si l’on admet les analyses féministes comprenant les femmes comme l’« autre », le particulier parmi les êtres humains, le mâle et l’homme générique sont confondus, comme le montre le lexique : en français, le terme « homme » désigne à la fois l’être humain et l’être mâle. Dans son étude, Clines s’inscrit, sans le formuler en ces termes, dans la perspective du constructivisme social. Il s’agit dès lors d’étudier les modèles de comportement que la société de l’Israël antique proposait à ceux qui étaient identifiés comme mâles, « hommes ». Mais l’impossibilité d’étudier directement les sujets et la société de l’Israël antique nous laisse face aux textes seuls pour accéder à ces réalités. Le choix de la figure de David permet toutefois d’approcher un « homme » exemplaire, et in fine, de reconstituer, dans la société qui en produit le récit, les traits communément admis du masculin. Clines postule que le monde décrit dans les textes donne accès au monde qui a produit ces textes, dans l’idée que les modèles de masculinité, une fois internalisés, se reflètent dans les récits. Le postulat paraît acceptable, bien que sa vérification reste impossible. Clines utilise les études contemporaines de masculinités pour parvenir à des résultats historiques, qui dépassent le cadre littéraire ou intra-textuel. Il ne s’intéresse toutefois pas seulement à la société israélite ancienne, mais il met ses études historico-littéraires en perspective avec des questions actuelles concernant la masculinité.

L’approche de Clines gagne à être complétée par les catégories de Robert Connell dont Clines n’a pu avoir connaissance à l’époque, mais qui éclairent sa perspective. Connell parle de « masculinité », des « masculinités » au pluriel. Le terme de masculinité signale qu’il ne s’intéresse pas à une soi-disant nature de l’homme, mais bien à la construction de ce que l’on appelle « homme » ; il s’agit donc d’un faisceau de caractéristiques qui conduisent un être humain à être perçu comme un homme dans sa société.

Connell distingue, dans le contexte d’une société moderne, ce qu’il appelle la masculinité hégémonique, d’une part, et, d’autre part, des masculinités qui interagissent différemment avec cette dernière. La masculinité hégémonique correspond à la forme de masculinité désirable par ceux qui donnent le ton et qui se trouvent au sommet des structures de pouvoir ; cette forme repose sur l’exclusion des femmes comme principe fondateur ; il s’agit donc d’une masculinité qui se définit strictement en opposition avec le féminin. Connell nomme trois principales masculinités alternatives, qui se définissent par rapport à ce premier type : celle de la complicité, lorsque des hommes recherchent les liens avec ceux qui ont le pouvoir et en profitent ; son pendant est la marginalité, lorsque des hommes tirent peu de profit de leur statut parce qu’ils sont marginalisé à cause de leur couleur de peau, par exemple, et, finalement, celle(s) de la soumission qui concerne des masculinités considérées comme menaces de l’ordre patriarcal, selon Connell, et que l’ordre dominant cherche à exclure : l’exemple par excellence en est l’homosexualité.

À partir de ces catégories, nous constatons que David Clines cherche à voir dans le personnage de David le modèle de la masculinité hégémonique dans l’Israël biblique. Il part d’une caractérisation de David donnée par des serviteurs du roi Saül devenu dépressif (cf. 1 Samuel 16,18) :

Lʼun des serviteurs prit la parole et dit : « Jʼai vu un fils de Jessé, le Bethléemite :
il sait jouer, et cʼest un vaillant, un homme de guerre, il parle bien, il est beau et YHVH est avec lui. »[27]

Il s’agit certes de caractéristiques qui dépendent du contexte narratif, mais elles peuvent être prises comme des indices heuristiques qui nous guident pour la mise au jour d’éléments de masculinité valables dans l’Ancien Israël.

À partir de ce verset, qu’il vérifie et complète par sa lecture des deux livres de Samuel, David Clines propose six aspects de masculinité :

(1) the fighting male, the warrior/le guerrier, le mâle combattant – le monde du personnage de David est assurément un monde guerrier, comme celui de nombreux récits bibliques. Le récit en 1 Samuel, cependant, construit un lien explicite entre le combat et la virilité :

Les Philistins disent l’un à l’autre : Prenez courage et soyez virils, Philistins, pour nʼêtre pas asservis aux Hébreux comme ils vous ont été asservis; soyez virils et combattez ! (1 Samuel 4,9)

« Être viril » veut donc dire « combattre » ; « être viril » s’oppose à « être asservi, être dominé par un autre ». La participation des femmes aux défenses d’une ville assiégée n’est pas exclue, mais l’existence de soldats féminins ne semble pas envisagée.

 

(2) the persuasive male/le mâle à discours persuasif – maintes fois dans le récit des deux livres de Samuel, David est présenté comme un homme d’éloquence, capable de guider ses interlocuteurs dans la direction qui lui est favorable. D’après Clines, ce trait ne concerne pas une caractéristique spécifique à l’homme; il y a des femmes sages dotées d’une parole persuasive, notamment, dans les mêmes livres de Samuel, la femme avisée d’Avel-Beth-Maaka qui réussit à sauver sa ville de la destruction ordonnée par le roi David (2 Samuel 20). Un des impératifs d’aujourd’hui pour un homme, le plus important peut-être, est celui de ne pas se comporter comme une femme. Pour le monde de l’Israël biblique, d’après Clines, la distinction des sexes, ou plutôt des genres, par exclusion mutuelle de certaines attributions n’était apparemment pas aussi stricte ou ne sʼappliquait pas, du moins, au discours persuasif.

(3) the musical male/le mâle musicien, le mâle et la musique – en partant du fait que David est présenté comme musicien, Clines discute la place de la musique dans les attributs d’un homme ou d’une femme. Clines met au jour une différence de traitement entre les sexes, ou plutôt des genres, au sujet de la nature des instruments, et, de manière connexe, au sujet des fonctions publiques : la cithare (kinnor ; cf. 1 Samuel 16,16) semble être plutôt un instrument d’hommes, tandis que le tof, le petit tambourin, est un instrument dont les femmes jouent, par exemple quand les guerriers rentrent après une victoire (cf. 1 Samuel 18,6). À nouveau, ce n’est pas la musique même qui fait une distinction entre les genres, mais le type de musique et sa fonction.

(4) the beautiful male/le mâle beau – en 1 Samuel 16,12 le narrateur décrit David comme « roux, avec un beau regard et une belle tournure ». C’est d’ailleurs un des assez rares cas où la Bible mentionne l’apparence physique de quelqu’un. Être beau est aussi une caractéristique désirable pour une femme israélite, mais à y regarder de plus près, il n’est pas rare que la beauté d’une femme soit considérée dangereuse pour elle – notamment pour Tamar, la sœur si belle d’Absalom, que son demi-frère Amnon la désire jusqu’au viol (cf. 2 Samuel 13).

(5) the womanless male/le mâle sans femmes – une caractéristique qui pourrait étonner au sujet de David. Clines met le doigt sur le fait que nulle part le texte biblique ne parle de l’amour de David pour une femme. En revanche, on apprend que Mikal, la fille du roi Saül, s’est éprise de David (1 Samuel 18,20) – il s’agit d’ailleurs du seul endroit de la Bible hébraïque où il est question d’une femme amoureuse d’un homme. David n’a d’affection envers aucune femme, même s’il peut les désirer d’un désir charnel, comme c’est le cas de Bethsabée, la femme de l’officier hittite Urie (2 Samuel 11); il les prend en mariage, mais ce surtout pour des raisons politiques, visant à consolider son pouvoir. David se sert donc des femmes. Clines voit dans le fait que David ne montre pas d’affection pour les femmes, dans son absence de dépendance affective donc, un trait de masculinité hégémonique.

(6) Cette présence ou absence de lien invite à considérer la sixième caractéristique que Clines appelle the bonding male/le mâle établissant des liens avec d’autres mâles. Dans le contexte militaire omniprésent des deux livres de Samuel, et dans la vie de David telle qu’elle est représentée par nos textes, les mâles restent entre eux, et la camaraderie renforce le courage et peut même sauver la vie. Selon Clines, cette caractéristique va plus loin encore, car le texte biblique parle d’un lien, d’une amitié très spéciale entre David et Jonathan, le fils de Saül. Tandis que la fille de Saül, Mikal, s’éprend de David sans que David ne témoigne aucune affection pour elle, le texte biblique dit du fils de Saül, Jonathan :


L’âme de Jonathan s’attacha à l’âme de David et Jonathan se mit à l’aimer comme lui-même (1 Samuel 18,1).

Nous sommes donc en présence d’un lien très fort de la part de Jonathan, et cette fois-ci, le récit précise que ce lien est partagé par David. Avant que David ne quitte la cour de Saül pour s’enfuir auprès des Philistins, une rencontre en plein champ a lieu entre lui et Jonathan ; ils s’embrassent et pleurent tous deux, signe d’affection assez explicite. Lorsque Jonathan est tué dans une bataille désastreuse contre les Philistins, David exprime sa grande douleur en ces termes :

Tu m’étais délicieusement cher,
ton amour m’était plus merveilleux que l’amour des femmes. (2 Samuel 1,26).

Selon Clines, la relation entre David et Jonathan peut être éclairée à partir d’un modèle connu à travers tout le monde ancien, celui de l’amitié étroite entre deux hommes, surtout dans un contexte guerrier, comme entre Gilgamesh et Enkidu, Achille et Patrocle, Castor et Pollux.[28]

2. Le cycle d’Élie et les masculinités

Nous allons à présent reprendre les six grandes caractéristiques de la masculinité proposés par Clines pour voir comment ils s’adaptent ou non au personnage d’Élie. Clines lui-même a fourni des analyses, de Moïse notamment et des livres prophétiques en général ;[29] il ne s’est néanmoins pas intéressé à la figure d’Élie.

(1) Le guerrier, le mâle combattant – Il est vrai qu’on ne trouve pas mention d’un conflit militaire associé à Élie, bien que soient intégrés au cycle d’Élie deux récits de combat (1 Rois 20 et 22). Mais, à la fin du cycle, un char de feu arrive, tiré par des chevaux de feu, et Élisée crie devant lui : « Mon père, mon père, char d’Israël et ses cavaliers »[30] (2 Rois 2,11-12). Il faudrait entendre qu’Élie lui-même représente littéralement le char conduit ou accompagné par les cavaliers. Ce motif du char et des cavaliers se retrouve à plusieurs reprises dans la Bible hébraïque, toujours dans des contextes militaires. La tournure exacte, l’exclamation d’Élisée voyant Élie se répète dans la bouche du roi Joas d’Israël au moment où il prend conscience de l’imminence de la mort d’Élisée. Le roi se plaint « Mon père, char d’Israël et ses cavaliers » (2 Rois 13,10), et Élisée lui promet un succès à la prochaine bataille, ce qui invite à penser que le roi a invoqué l’assistance du prophète dans le contexte d’une entreprise militaire. Cela nous amène à la conclusion que le char d’Élie est aussi un char de guerre. La question d’une éventuelle réminiscence d’un état ancien du récit, qui aurait connu un Élie impliqué dans des guerres, ne peut pas être tranchée; le point important réside dans le fait que, dans le texte tel qu’il se présente, le personnage d’Élie reçoit les traits d’un fighting male, un mâle au combat.

Un autre indice contribue à cette caractérisation d’Élie en mâle guerrier : le nom de YHVH Sebaot est mentionné à trois reprises dans le cycle d’Élie (1 Rois 18,15 ; 1 Rois 19,10 ; 19,14), chaque fois dans la bouche du prophète qui conçoit donc son Dieu en tant que « YHVH des armées célestes ».

Si on élargit la notion de combat, on relève un autre endroit du récit où Élie se met à tuer ; il tue en effet les quatre cents prophètes de Baal après un combat d’un type différent qui l’oppose aux prophètes de la cour royale, le combat entre le Baal et le Dieu d’Israël, au sommet du Carmel. En 1 Rois 18,40, le texte dit : « Élie les fit descendre près du torrent du Qishôn, et là il les égorgea ». En effet, le verbe « égorger » (shaḥaṭ) désigne la mise à mort rituelle, en particulier celle des animaux au Temple. La précaution s’impose avant de relier entre elles ces deux formes du « combat ». Nous tenons à souligner que les combats d’Élie sont d’un ordre différent de ceux de David. Pour autant, la fin du récit concernant Élie fait bel et bien intervenir le motif guerrier d’un char et de cavaliers tombant littéralement du ciel, ce qui pourrait être une expression ramassée mettant en relief l’importance d’Élie dans son « combat » pour le vrai Dieu.

(2) Élie sait se servir de sa langue, il est vrai. Mais il n’est pas convaincant ou persuasif pour autant ; il ne correspond pas au type du persuasive male/mâle persuasif. Il n’est pas éloquent, aussi sa parole l’emporte-t-elle seulement en vertu d’un pouvoir spécial. Élie invoque en effet la parole de Dieu qui parle en lui ou par lui. Dans le monde biblique, l’expression s’entend littéralement dans la mesure où un homme comme Élie se sent personnellement possédé par son Dieu et que les gens de son entourage le respectent comme tel, en « homme de Dieu », en prophète. Le cas d’Élie, à la lumière du critère de la parole persuasive, nous met face à un type de masculinité différente de celle de David. D’ailleurs, l’expression de la parole de Dieu par l’intermédiaire d’une personne ne concerne pas seulement les hommes dans le monde biblique : on connaît des femmes prophètes dont une pousse un homme à faire la guerre, Débora (Juges 4-5). La Bible ne connaît pourtant pas d’expression équivalente à celle d’« homme de Dieu » pour qualifier une femme.

David Clines a relevé que la parole persuasive, dans les textes bibliques, n’était pas réservée aux hommes. Le cycle d’Élie fait intervenir une femme qui sait se servir d’un langage efficace – Jézabel, l’épouse du roi, qui, en 2 Rois 10,13 est appelée gevirah, « la puissante ». C’est elle qui a fait le serment de tuer Élie et qui décrète les persécutions. En portant notre attention sur la question du langage, la perspective d’un autre combat se dessine, celui qui opposera Élie et Jézabel. Sans vouloir rapprocher trop hâtivement ce type de combat à celui du combat guerrier, nous constatons néanmoins que ce texte fait intervenir la notion de combat sur plusieurs plans.

(3) Élie n’est pas musicien – mais son successeur Élisée cherche quelqu’un qui sache jouer d’un instrument, sans que le texte hébreu ne précise de quel instrument il s’agit. Le prophète pense probablement à une cithare dont la musique pourrait susciter chez lui une transe prophétique (2 Rois 3,15). Ce détail montre encore que, dans le milieu du prophétisme, les catégories ne recoupent pas exactement celles développées à partir de la figure du roi David.

(4) Quant à la beauté, on trouve un seul verset mentionnant l’apparence physique d’Élie. Le roi Akhasias, successeur du roi Akhab, a eu un accident et se trouve gravement blessé. Il envoie des messagers à la cité philistine d’Eqrôn, au Baal-Zeboub, pour sa guérison. Élie s’y oppose et fait entendre au roi qu’il va mourir. Le roi interroge alors les messagers (2 Rois 1,7-8) :

Et il leur dit :

מֶה מִשְׁפַּ֣ט הָאִ֔ישׁ אֲשֶׁ֥ר עָלָ֖ה לִקְרַאתְכֶ֑ם

Quel est le jugement de l’homme qui est venu à votre rencontre ?

Et ils lui disent :

אִישׁ בַּ֣עַל שֵׂעָ֔ר וְאֵז֥וֹר ע֖וֹר אָז֣וּר בְּמָתְנָ֑יו

Un homme, maître de cheveux, et une ceinture de cuir ceinte sur ses reins.

Et il dit :
C’est Eliyahu le Tishbite.

La question posée par Akhasias concerne le mishpaṭ de celui qui a proféré les paroles qui menacent la vie du roi, c’est-à-dire non seulement son apparence physique, mais plutôt l’impression que fait cet homme (traduit ci-dessus par « jugement »). Dans de nombreuses traductions, la réponse des messagers décrit un vêtement de poils. Le texte hébreu, cependant, parle d’un ’ish baʽal seʽar, un « homme, maître de cheveux ». Cette caractéristique fait penser à un nazir, un homme qui a fait vœu de s’abstenir d’alcool et de ne pas couper ses cheveux. Ainsi coiffé ou dé-coiffé, il ressemble à un « homme sauvage ».

Si on fait intervenir la beauté comme caractéristique d’une masculinité hégémonique, on pourrait conclure que cet homme ne correspond pas à ce type de masculinité. De telles pratiques concernaient aussi les femmes, comme la mère de Samson (Juges 13), mais il n’est pas fait mention d’une femme qui aurait renoncé à se couper les cheveux – le trait n’était peut-être pas distinctif pour une femme. Dès lors, si la chevelure d’un nazir peut être considérée comme pertinente pour caractériser un homme, la masculinité hégémonique ne comprendrait pas ce type de signe.

(6) Quant au bonding male, le mâle lié à d’autres mâles, il ne trouve pas d’illustration dans le cycle d’Élie. Le lien avec le roi Akhab est un lien d’hostilité et il n’est pas étroit. Le chapitre 19 raconte bien la vocation d’Élisée comme successeur d’Élie et montre Élisée accompagnant Élie. Il y aurait donc un lien avec un autre homme. Mais Élisée n’est plus mentionné jusqu’à la fin du récit où, lorsque son maître devient invisible, il prend le manteau d’Élie et lui succède. Dans l’ensemble, Élie apparaît solitaire, sans famille, sans amis, sans groupe qui l’entoure. Reste le lien fort entre Élie et son Dieu, sujet qui doit encore être étudié.

(5) Enfin, peut-on dire que cet « homme de Dieu » est sans femme au sens où il ne témoignerait d’aucune affection pour une femme ? Le texte ne mentionne pas un mariage au sujet d’Élie. Le récit ne fait pas intervenir d’épouse ; Élie a besoin de la veuve de Sorphat, il se sert d’elle pour obtenir à manger. Mais peut-être peut-on aller plus loin : Élie s’engage avec audace pour la vie du fils de la veuve, allant jusqu’à reprocher à Dieu de lui faire du mal. Nous pourrions aussi citer Jézabel : entre elle et lui, nous le verrons, existent des émotions intenses, négatives, hostiles jusqu’à la haine. Un homme sans femmes – pas tout à fait.

En conclusion, Élie ne correspond pas au modèle de David, c’est-à-dire au modèle de la masculinité hégémonique. Il représente un type différent, celui du nazir et/ou du prophète. Pour le rattacher à un des types de masculinité proposés par Connell, dans la société où le texte a été produit, nous pourrions l’associer à la masculinité marginalisée. Néanmoins, la question pourrait être posée de savoir si le cycle d’Élie n’engage justement pas un débat sur l’hégémonie : le roi Akhab n’est pas un homme hégémonique, la reine Jézabel revêt des traits d’hégémonie, mais elle est diabolisée, et c’est l’homme en marge, mais investi de la parole de Dieu, donc d’un pouvoir divin, qui revendique l’hégémonie. Sur le plan théologique, la disparition d’Élie aux cieux à la fin du récit pourrait être lue comme l’aveu d’un échec de sa mission. Une approche sociologique pourrait se demander si la figure d’Élie n’émane pas d’un milieu qui plaide pour l’importance de l’élément prophétique dans la société.

3. Chamanisme – social anthropology – mythopoétique

L’étude du type de masculinité du personnage d’Élie peut être intégrée aux études de « genre », et nous avons conclu à un type de masculinité spécifique, celui du prophète/nazir. Cette caractérisation ne suffit pas, selon moi, pour la compréhension du personnage d’Élie. Une approche assez différente m’est apparue à l’été 2003, lors d’un semestre sabbatique où ma collègue sud-coréenne Kyung-Sook Lee de l’EWHA à Séoul, l’université de femmes la plus grande du monde, a passé chez moi à Münster. Kyung-Sook Lee m’avait signalé qu’à ses yeux, Élie était comparable à un chaman dont on trouve de nombreux exemples dans la culture de son pays, une culture marquée par le confucianisme puis par le christianisme, mais qui reste chamanique, derrière sa surface « moderne » ou à côté de sa modernité. Cela m’a frappé, car j’ai compris que j’avais travaillé jusqu’à présent avec un certain « gender-bias » ou une « monophtalmie » par rapport au genre : quelques années auparavant, je m’étais plongée dans des travaux relatifs au chamanisme. J’avais lu au sujet du chamanisme en Asie centrale et en Corée ; j’avais étudié des hommes-médecine ou « medecine men » nord-américains, des faiseurs de pluie, des sorciers, ainsi que des phénomènes de possession et de divination dans les cultures contemporaines. Je m’étais rendue compte que, dans la Mésopotamie ancienne, la divination et la peur des mauvais esprits était répandue et que les Évangiles aussi connaissaient les mauvais esprits, en particulier l’Évangile de Marc. On peut donc penser que la culture de l’Israël ancien a connu des personnes qui passaient pour être investies de forces surhumaines, transmises par un esprit plus ou moins supérieur, comparable aux chamans des cultures plus récentes. Mais j’avais, à l’époque, utilisé ces idées uniquement pour éclairer la possibilité de l’existence de chamans féminins dans le monde biblique et surtout pour comprendre si on pouvait rapprocher la femme pratiquant la nécromancie (1 Samuel 28) du chamanisme.[31]

Kyung-Sook m’a ouvert les yeux : le personnage d’Élie présente lui aussi des traits proches du monde chamanique. Pour développer cette intuition sur un fondement méthodique plus rigoureux, je m’appuierai sur l’anthropologie sociale. L’exégète nord-américain Thomas W. Overholt a ouvert la voie avec ses études sur le prophétisme à travers différentes cultures.[32] Je lirai alors le cycle d’Élie, ses deux premiers chapitres 1 Rois 17-18 plus précisément, selon l’approche d’une anthropologie sociale « genrée ». Je pense en effet que cette approche confirme à son tour l’analyse littéraire qui voit ces chapitres comme une unité, par la prise en compte de la composition qui lie les scènes à travers le thème de la sécheresse.

Il est possible de montrer, selon moi, que les ch. 1 Rois 17-18 sont composés sur un modèle qui va de l’initiation d’un fonctionnaire chamanique, un homme dont la fonction est publique et qui fait le lien entre son groupe et le royaume des esprits, jusqu’à la réalisation d’actions extraordinaires. Cette initiation procède, d’après 1 Rois 17, en trois étapes qui correspondent aux scènes relevées plus haut dans le chapitre, tandis que la mise en pratique suit, au ch. 18, dans la deuxième partie en particulier, avec le récit de la victoire sur Baal et l’invocation de la pluie.

L’approche féministe a ignoré la première scène du ch. 17 qui montre Élie auprès des corbeaux ; cette scène, lue dans la perspective de l’anthropologie sociale, est significative : pour la première étape de son initiation, Élie est envoyé dans un territoire éloigné de la civilisation humaine, où il passe un moment parmi des animaux. Il se trouve alors dans une zone liminale entre le monde des humains et celui des bêtes ; il est réduit à l’état d’un jeune enfant qui doit être nourri par ses parents. Les corbeaux assurent ce rôle, le nourrissent, tandis que le ruisseau lui fournit à boire. Élie vit ainsi à l’écart du monde humain, en communauté avec les corbeaux et absorbe la force du monde animal, en particulier l’énergie des oiseaux. C’est cette énergie, en effet, qui fait craindre à Ovadyahou, le majordome du roi, que le prophète soit emporté et que le roi ne le retrouve plus (cf. 1 Rois 18,12). La rapidité surhumaine avec laquelle Élie court, vole, devant le char du roi, alors que la pluie a commencé à tomber, en est aussi l’illustration. Cette énergie est certes attribuée au souffle de YHVH (1 Rois 18,12) ou à la main de YHVH (1 Rois 18,46), mais sa manifestation se fait à travers des actes comparables à ceux d’oiseaux.

La deuxième scène du chapitre place Élie non plus au-delà du monde des humains, mais sur un territoire d’une liminalité différente, l’étranger, dans le domaine du dieu étranger. Après la communion avec les animaux advient la rencontre d’une femme humaine, qui le nourrit également, tout en lui donnant l’occasion de manifester une première fois la force qui réside désormais en lui. Avec le consentement de la femme, il arrive à transformer le moins en plus. Cette description de l’événement met l’accent sur sa dimension miraculeuse ou magique. Cela ne va pas, selon moi, contre la logique de l’épisode, dont la dernière phrase ne nous présente pas la femme louant Dieu, mais présente l’huile qui coule et le pain qui ne manque pas, effet de la parole de son Dieu dans la bouche d’Élie, semblable au mouvement de l’eau qu’il a bu.

La rencontre entre l’homme arrivant d’une région sans culture humaine et une femme humaine est un motif que l’on retrouve dans l’Orient ancien, avec l’histoire de Gilgamesh et Enkidu, connue jusqu’au Levant. Des aspects liés au genre entrent alors en jeu : Élie, lors de son séjour auprès des corbeaux, était encore un enfant qui n’était pas différencié sexuellement, un bébé abandonné à la faim et à la soif. Élie, auprès de la femme, est en quelque sorte un adolescent ; il doit encore être aidé, mais il porte en lui des forces miraculeuses, car l’énergie de son Dieu a commencé à agir en lui. Il parvient à faire couler des éléments végétaux, l’huile et la farine, et, par la suite, il arrivera à faire couler du ciel du feu et de l’eau. En termes d’initiation, les chapitres 17 et 18 forment une unité cohérente.

Il reste la troisième scène du ch. 17 : le domaine liminal auquel Élie se voit confronté est celui du seuil entre la vie et la mort.

« Et sa maladie fut si violente quʼil ne resta plus de souffle en lui (=l’enfant) » (1 Rois 17,17)

וַיְהִ֗י אַחַר֙ הַדְּבָרִ֣ים הָאֵ֔לֶּה חָלָ֕ה בֶּן־הָאִשָּׁ֖ה בַּעֲלַ֣ת הַבָּ֑יִת וַיְהִ֤י חָלְיוֹ֙ חָזָ֣ק מְאֹ֔ד עַ֛ד אֲשֶׁ֥ר לֹא־נֽוֹתְרָה־בּ֖וֹ נְשָׁמָֽה׃


Le terme neshamah se trouve en Genèse 2,7 pour désigner l’haleine que Dieu insuffla dans les narines de la première créature humaine pour lui donner la vie. L’haleine de vie s’est ici retirée du fils de la femme. Élie accomplit un geste qu’il répète trois fois, nombre magique, et fait appel à son Dieu. Le terme de nefesh apparaît deux fois dans le récit (vv. 21-22). nefesh désigne en général la gorge, puis la personne ou le « moi », et la Septante le rend par psukhê. Ici, nefesh renvoie certainement à un principe de vie qui s’est éloigné du corps.[33] On peut le comparer avec la note sur la mort de Rachel (Genèse 35,18) : « … quand sa nefesh s’en allait car elle ira mourir ». Nous pourrions imaginer la manière par laquelle les auditeurs ou auditrices ont pu comprendre le récit au sujet de l’enfant de la veuve, en résumant la scène ainsi : la nefesh, conçue comme un petit nuage, est sortie du corps de l’enfant, mais plane encore en dehors de son corps et peut y rentrer à nouveau. Ainsi Élie supplie-t-il son Dieu : « retourne donc (= fais rentrer) la nefesh » à l’enfant, ce qui est confirmé par le verset suivant : « et la nefesh rentra » (cf. 1 Rois 17,21-22), et qui correspond à l’hypothèse que nous avons formulée. En outre, la traduction par « fais que la nefesh rentre » présuppose la vocalisation des trois consonnes taw, shin, bet du verbe « rentrer » en tashev, une forme de hif‘il. Le v. 22 lit un qal, wattashov, « et elle rentra ». Il s’agit des mêmes consonnes et le texte hébraïque lit au v. 21 un qal également, de sorte qu’il faudrait traduire : « Mon Dieu, que la nefesh rentre dans l’enfant ».[34] La nefesh est douée ainsi dʼune certaine activité ; elle est conçue comme une entité mobile qui ne disparaît pas complètement quand elle quitte un corps. C’est ce concept presque matériel de la nefesh qui la rapproche de contextes chamaniques.[35] Reste à noter que les paroles d’Élie accompagnant son geste ne sont pas tant une prière à Dieu pour qu’il fasse rentrer la nefesh de l’enfant dans son corps, qu’une injonction de Dieu lui-même visant à ce que la nefesh rentre. En effet, par le geste d’Élie et son invocation de Dieu, l’enfant retourne à la vie. Autrement dit, Élie apparaît, doté de la force de son Dieu, en maître de la vie et de la mort. Après son séjour parmi les oiseaux au bord du torrent et après sa vie commune avec la femme, il a donné la vie à un enfant. Le tout petit, puis l’adolescent, est devenu homme adulte. À l’issue de cette expérience liminale tripartite, Élie est capable d’entreprendre ses grandes tâches publiques, de faire couler le feu et la pluie et de mener le combat contre les prophètes du Baal, un combat entre la vie et la mort.

 

Notre lecture s’est ainsi appuyée sur l’approche d’une anthropologie sociale « genrée » qui met en évidence l’initiation d’un homme mâle, ou plutôt l’évolution d’un être humain vers sa masculinité, et cela par le biais d’un scénario qui en suit l’évolution physique et psychique par étapes : enfance, adolescence, âge adulte, en lien avec les étapes constituées par la rencontre du monde des animaux, du monde de la femme et de celui du divin. Ce résultat éclaire l’approche du courant des mythopoètes au sein des menʼs studies, car ce trajet d’initiation parcouru par Élie pourrait être compris comme un modèle à répéter, à reformuler par l’homme moderne en quête de ce rythme archaïque, pour retrouver en lui les archétypes de sa masculinité, ensevelis sous les contraintes de la vie moderne. En mettant au jour ces rythmes et images archaïques, l’homme pourrait rompre avec les structures de la masculinité hégémonique qui rendent malades. On retrouve ce type de men’s studies appliqué en thérapie de groupe pour des hommes en crise, « burn out », qui jouissent d’une grande popularité en Allemagne, dans le contexte séculier comme dans les églises et la pastorale.[36] Ce développement doit sans doute être pris au sérieux, en tant qu’il exprime une souffrance liée à des structures qui font du mal aux personnes. La question se pose néanmoins de savoir si une telle approche, centrée sur l’homme (masculin) et son bien-être, ne conduit pas à faire à nouveau de la femme un instrument.


4. Queer studies et le cycle d’Élie

Notre dernière perspective de lecture provient des « queer studies », les études queer. Il convient ici de présenter la philosophe américaine Judith Butler et son livre « Gender Trouble » (« Trouble dans le genre »).

Judith Butler ne se contente pas de distinguer entre sexe et genre ou de reconnaître que le genre d’une personne est construit par la société. Cette distinction pourrait, en effet, toujours suggérer que des qualités ou des capacités liées au genre se laisseraient, de façon plus ou moins linéaire, déduire d’une base considérée comme donnée et naturelle, voire du sexe. Notre socialisation et les règles de vie de nos sociétés nous font croire qu’il y est ainsi, car les actes répétés, qui inscrivent notre genre en nous en le mettant en scène, coïncident avec notre « sexe ». Mais que faire lorsque la distinction entre sexe et genre perd son sens parce qu’elle part d’un postulat erroné qui présume l’existence d’un sexe brut indépendamment des significations qu’il revêt dans la langue ? La question peut être formulée autrement : qu’implique la prise au sérieux de la langue comme moyen indépassable de perception et d’appréhension de la réalité, la seule lunette par laquelle le réel peut être perçu et conçu ? Qu’implique le fait d’admettre qu’un sexe en-deçà du langage ou derrière le langage n’est pas accessible ? D’admettre la seule existence du genre ? Il semble ainsi que la distinction entre sexe et genre n’est pas aussi évidente qu’elle pouvait paraître au premier abord. Judith Butler ne nie certes pas l’existence des corps et du fait que nos vies se font dans ces corps, mais selon elle, un corps n’existe pas en soi en tabula rasa, mais toujours en tant qu’il est défini par des actes de langage qui sont des actes performatifs, qui réalisent ce qu’ils disent. Plus important, cette réflexion met le doigt sur la question du pouvoir : ce n’est pas seulement par le biais de ses institutions qu’une société façonne les identités sexuelles, et ce n’est pas non plus seulement par la répétition constante d’actes considérés appropriés au genre masculin ou féminin, par le « doing gender », que les individus consentent au pouvoir, mais c’est l’instrument fondamental de l’accès à l’humanité, la langue, qui est impliqué. Pour Butler, une telle déconstruction du sexe, qui est loin d’être « donné » ou même « naturel », est nécessaire pour que les individus gagnent une nouvelle liberté d’action et par d’autres actes performatifs, actes de langage et actes vécus, vivent leur genre en actes.

L’expression de queer, cʼest-à-dire curieux, bizarre, drôle, ce qui irrite donc la prétendue normalité, concerne surtout deux aspects : (1) si le genre se fait par des actes performatifs, on peut envisager plus de deux genres, le masculin et le féminin, soit au niveau des corps – comme l’invitent à penser les nouveau-nés dont aucun organe sexuel n’est clair ou qui naissent avec des organes sexuels masculins et féminins – soit au niveau du désir, soit au niveau des identités ou des pratiques. À partir du moment où l’on admet l’existence de plus de deux sexes, la normativité de deux et seulement deux sexes ou genres devient discutable. Autrement dit, l’hétéronormativité peut être remise en question, dans la mesure où la bipartition en deux sexes régule l’ensemble de la sexualité et que la seule sexualité reconnue est celle qui concerne un homme et une femme, deux êtres de sexe présumé différent, notamment dans l’institution du mariage. (2) Si le postulat d’une nature ou d’une essence ne peut plus fonder la normativité des deux sexes, d’autres critères doivent être développés pour définir ce qu’une société tolère et accepte.

Dans l’exégèse biblique, la perspective queer peut rendre sensible à des faits qui brouillent l’évidence de l’ordre du système hétéronormatif bipartite. Le cycle d’Élie nous en apporte deux éléments. Le premier concerne l’épisode de la vocation d’Élisée comme successeur d’Élie (1 Rois 19,19-21).[37]

19 Il partit de là et trouva Élisée, fils de Shafath, qui labourait; il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième.

Élie passa près de lui et jeta son manteau sur lui.

20 (Élisée) abandonna les boeufs, courut après Élie et dit : « Permets que jʼembrasse mon père et ma mère et je te suivra ». Élie lui dit : « Va ! Retourne ! Que tʼai-je donc fait ? »

21 (Élisée) sʼen retourna sans le suivre, prit la paire de bœufs quʼil offrit en sacrifice; avec lʼattelage des bœufs, il fit cuire leur viande quʼil donna à manger aux siens. Puis il se leva, suivit Élie et fut à son service.

Nous ne prétendons pas produire une exégèse qui couvre tous les aspects de ce texte qui rappelle d’autres scènes de vocations dans la Bible; nous nous limiterons aux traits relatifs à une lecture queer.

Le v. 19 précise qu’Élie passe (‘avar) près d’Élisée et jette son manteau sur lui. Le geste rappelle un autre passage et un autre vêtement étendu, celui d’Ézéchiel 16,8 : il y est question d’une adolescente, symbole de la ville de Jérusalem, auprès de qui Dieu passe (le même verbe ‘avar est employé) « à l’âge des amours », étend le pan de son vêtement sur elle, « et elle fut à lui ». Ce passage de l’habit étendu a des connotations érotiques ou sexuelles très nettes. Il en va de même pour la scène en Ruth 3,9, quand Ruth demande à Booz : « Étends sur ta servante le pan de ton manteau ». En comparant les trois scènes, on s’aperçoit qu’elles ont en commun un lien établi par celui qui couvre l’autre de son vêtement. Ézéchiel 16 et Ruth 3 parlent d’un lien entre un homme et une femme, et dans ces deux cas les connotations sexuelles sont évidentes. Une lecture queer interrogerait la nature de ce lien lorsqu’il est question des deux hommes, Élie et Élisée. Certes, on a coutume de voir dans le manteau jeté sur Élisée le geste de vocation, d’autant qu’après l’ascension d’Élie, Élisée ramasse le manteau qui a glissé des épaules d’Élie et le garde pour lui, signe extérieur qu’il assume le rôle de successeur. Mais le vêtement étendu évoque aussi, selon certains commentaires, la communion de vie. Dès lors, on peut mentionner un autre lien intertextuel : Élisée demande à Élie la permission de s’en aller pour embrasser son père et sa mère et de le suivre après. Embrasser, c’est un geste de départ qui n’est pas dénué d’affection ; Élisée se montre donc prêt à quitter son père et sa mère, à couper un lien familial et affectif. Et d’après 1 Rois 19,21, Élisée quitte alors ses bœufs, son travail, tout ce qui l’attache à ses parents et le texte va jusqu’à utiliser le même verbe qu’en Genèse 2,24, où l’homme quitte son père et sa mère pour s’attacher à la femme. Élisée devient semblable à l’homme qui quitte ses parents pour se lier à la femme ; entre Élisée et Élie naît dès lors un lien entre deux hommes, un lien de nature affective, et les parallèles intertextuels invitent à se demander dans quelle mesure on peut envisager un lien de nature sexuelle. L’approche queer nous amène à la question des désirs, des pratiques, des identités sexuelles dans l’Israël biblique, au-delà des normes hétérosexuelles que l’on trouve partout dans les textes ou sous ces dernières. Le cas d’Élie et Élisée pose la question de l’homosexualité, qu’elle soit suggérée par les textes, ou qu’elle intervienne comme réalité du monde à l’arrière-plan de ces textes. Il convient là aussi d’opérer des distinctions entre désirs, identités, pratiques et encore modes de vie. Les textes bibliques nous laissent sans réponse concrète. Mais une chose est sûre : il serait simpliste de croire que les interdictions du Lévitique (18,22 et 20,13) aient eu cours toujours et partout en Israël et que ces interdictions aient concerné toutes les dimensions de la question telle qu’elle apparaît dans les discours contemporains.

Une lecture queer s’intéresserait par ailleurs au petit paragraphe 2 Rois 1,7-8 cité plus haut ; les deux versets donnent une description physique du prophète.

La question posée par le roi concerne le mishpaṭ d’Élie, l’impression qu’il donne. La Bible de Jérusalem rend l’expression par « de quel genre était l’homme » ; elle se sert donc du terme même qui est devenu le terme central des études de genre. À l’époque de la traduction de la Bible de Jérusalem, le débat sexe/genre n’existait pas ; aujourd’hui on pourrait estimer que la traduction est juste, voire queer puisqu’elle remet en question le « genre » d’un homme.

La réponse des messagers évoque en premier lieu les cheveux du prophète : ’ish ba‘al se‘ar, un « homme maître de cheveux ». Les traductions qui y voient un vêtement se réfèrent probablement au manteau d’Élie dont il est question ailleurs dans le texte. Pour les traducteurs chrétiens, la figure de Jean-Baptiste peut avoir été prise en compte. Jean-Baptiste est considéré, dans les Évangiles, comme nouvel Élie qui est vêtu de poil de chameau (cf. Marc 1,6 ; Matthieu 3,4). Le texte hébreu concernant Élie est cependant clair : il est ba‘al se‘ar. Nous avions expliqué précédemment cet élément en lien avec la figure du nazir ; nous pouvons maintenant aller plus loin : le texte ne fait pas mention des cheveux de la tête seulement, il parle simplement de cheveux. Il peut donc être question d’un homme recouvert de cheveux, de poils, un être ressemblant à un animal, un être sauvage. Le genre de cet homme est queer dans la mesure où il rompt avec la norme en vigueur chez les êtres humains.

Les messagers parlent encore d’« une ceinture de cuir ceinte sur ses reins ». Voilà encore un trait sauvage qui souligne son lien avec les animaux. Comme il s’agit du seul vêtement dont il est fait mention avec les cheveux, il peut bien être question d’une personne qui, hormis cette ceinture, ne porte rien sur lui, ce qui a amené la Bible de Jérusalem et la TOB à faire de la ceinture un pagne.

Ce bref extrait permet d’ancrer doublement une lecture queer. La première opère sur le plan intellectuel. Les caractéristiques mentionnées font d’Élie un être liminal entre les humains et les animaux. Les contours de la distinction entre homme et animal, toute « normale » qu’elle nous paraisse, commencent à se brouiller. Élie est un homme que l’on peut comparer au premier être humain que Dieu a créé au jardin d’Eden, auquel Dieu associe les bêtes avant de former un deuxième être humain. Élie, entouré de poil et de cuir, rappelle encore Enkidu dans la forêt : comme l’Enkidu mésopotamien, il apparaît en sauvage aux marges de la civilisation.[38]

Le deuxième ancrage d’une lecture queer est lié au mot « cuir », un mot-clef qui réagit par association libre avec le texte biblique. On pourrait alors voir en Élie un homme qui annonce celles et ceux qui désirent réhabiliter la pluralité des formes de désir et de pratiques sexuelles stigmatisées par la société.[39] Nous ne prétendons pas proposer ici une exégèse du texte biblique au sens strict, mais une telle approche mérite d’être prise au sérieux, car elle met le doigt sur le fait que l’exclusion du champ des sexualités est un instrument de pouvoir que les religions exercent tout particulièrement, aspect éminemment critiquable.


 

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[1] Texte retravaillé à partir des deux premières conférences d’une série de quatre conférences données à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), Paris, en mai 2014, en qualité de directeur d’études invitée (DEI), sur le cycle d’Élie en perspectives de genre/gender. Merci à Mme. le Prof. Hedwige Bonraisin-Rouillard et Mme. le Prof. Maria Grazia Masetti-Rouault pour l’invitation. Merci à M. Xavier Lafontaine qui a relu et retravaillé le texte français. – J’espère pouvoir offrir le texte des deux conférences suivantes (III - La reine étrangère et l’homme prophétique - féminisme, gender et post-colonialisme ; IV - Le « monothéisme » d’Élie selon les perspectives de « genre ») dans un autre numéro de la revue lectio difficilior.

[2] La transcription de la TOB pour les anthroponymes et toponymes sera par la suite adoptée dans le corps du développement.

[3] Traduction d’André Chouraqui ; cf. http://nachouraqui.tripod.com/id78.htm.

[4] Le commentaire en français le plus récent de Walter Vogels (Élie et ses fioretti, Paris 2013), souligne le caractère légendaire des textes et développe d’abord des positions historico-critiques, voire des considérations littéraires de composition ou de rédaction ; il engage, lui aussi, une lecture du texte tel qu’il se présente à nous aujourd’hui.

[5] Le commentaire le plus récent est celui de Winfried Thiel, commentaire d’une grande érudition et accompagné d’une bibliographie abondante : Winfried Thiel, Könige II (= 1 Rois 17seq.), Biblischer Kommentar IX/2, Neukirchen-Vluyn 2000 seq.

[6] Dans l’évolution de la théorie féministe de lecture de la Bible, les œuvres d’Elisabeth Schüssler Fiorenza ont constitué des jalons. Parmi ses multiples ouvrages, seulement son premier livre a été traduit en français : Elisabeth Schüssler Fiorenza, « En mémoire d’elle ». Essai de reconstruction des origines chrétiennes selon la théologie féministe, Paris 1986. E. Schüssler Fiorenza a continuellement retravaillé son herméneutique. Voir en particulier son introduction à une lecture féministe de la Bible : Wisdom Ways. Introducing Feminist Biblical Interpretation, Maryknoll 2001, et : The Power of the Word. Scripture and the Rhetoric of Empire, Minneapolis 2007. En France, la théologienne protestante Elisabeth Parmentier est une des rares théologiennes qui se réfère à Schüssler Fiorenza dans son travail. Voir Elisabeth Parmentier, Les filles prodigues : défis des théologies féministes, Genève 1998, et, plus récemment : Paul Daviau/Elisabeth Parmentier, Marthe et Marie en concurrence ? Des Pères de l’Église aux commentaires féministes, Montréal 2012.

[7] Marie-Theres Wacker, Eine Frau findet den Gott der Armen, dans : Eva-Renate Schmidt/Mieke Korenhof/Renate Jost (éd.s), Feministisch gelesen. Bd. 2, Stuttgart 1989, 127-137.

[8] Traduction d’André Chouraqui ; cf. http://nachouraqui.tripod.com/id78.htm.

[9] Plus de dix ans plus tard, l’exégète allemand Jürgen Ebach a repris ce problème du ketiv/qeré pour faire remarquer qu’une décision tranchée pour ou contre une des lectures manquait sans doute la signification du phénomène qui marque, selon lui, une querelle ouverte. Je renvoie à sa lecture inspirante du cycle d’Élie, qui ne s’inscrit ni dans les courants des « men’s studies » ou « études de masculinité » (voir infra), ni dans l’approche du constructivisme social ou d’une mythopoétique, mais qui se veut assurément pro-féministe, selon une pensée déconstructiviste : Jürgen Ebach, Elija – ein biblisches Mannsbild, dans : Marie-Theres Wacker/Stefanie Rieger-Goertz (éd.s), Mannsbilder. Kritische Männerforschung und Theologische Frauenforschung im Gespräch, Münster 2006, 65-91.

[10] La voix narrative en tant qu’instance inscrite dans le texte se distingue d’un « narrateur » concret dont on ne sait rien.

[11] Je ferai une remarque concernant la langue, non seulement la langue d’une traduction de la Bible, mais, plus généralement, la langue utilisée pour faire référence à des personnages féminins : Le mot français « maîtresse » n’est pas neutre, il a une connotation sexuelle. Pour éviter l’équivocité, qui associe femme et sexualité, le terme de « propriétaire » ou, plus précisément, l’expression « celle qui possède » s’avère ici approprié. Mais le problème est plus large, car beaucoup d’autres formes féminines n’ont pas la même valeur que les formes masculines correspondantes, alors qu’elles désignent une même activité ou un même titre. Ma collègue Hedwige Bonraisin-Rouillard et moi nous sommes demandé si j’intervenais en tant que directeur d’études invité ou directrice d’études – et si directrice correspondait exactement alors à directeur en terme de reconnaissance académique. J’ai osé proposer de m’appeler « directeur d’études invité-e », car, en latin, le mot director peut s’employer utriusque generis, et, par égard pour les normes françaises d’accord grammatical, l’affiche annonçant mes conférences a précisé « directeur invité-e », en prenant soin dʼajouter un complément au verbe passif, « invitée par… », introduisait les personnes à qui je devais cette invitation et permettait de lire l’adjectif en fonction prédicative. Il faut, selon moi, parfois savoir jouer avec les règles de la langue, pour mettre le doigt sur ce genre de problèmes linguistiques ou sémiotiques.

[12] La voix narrative ne fait pas mention de la mort de l’enfant, question qui sera discutée plus bas.

[13] Il y a quelques années une traduction œcuménique de la Bible a été publiée en Allemagne (« Bibel in gerechter Sprache », ed. Ulrike Bail et autres ; Gütersloh : Gütersloher Verlagshaus 2006 ; 42011) qui cherche, par le biais de la traduction, à exprimer le respect du judaïsme. C’est par ailleurs une Bible en langue inclusive qui essaie de mettre en avant les femmes rendues invisibles sous les tournures hébraïques ou grecques au masculin générique. En outre, cette traduction se garde d’employer le terme « Seigneur » pour rendre le tétragramme, car le qeré hébreu « Adonaï » ne correspond pas à « Seigneur » et que « Seigneur » n’a pas à pas connoter la domination masculine. Cette traduction évite aussi la prononciation du tétragramme par « Yahvé ». À partir des critères de cette traduction inclusive et sensible aux traditions juives, la manière dont Chouraqui traite le nom de Dieu paraît la meilleure pour les traductions françaises.

[14] Luise Schottroff/Marie-Theres Wacker (éd.s), Kompendium feministische Exegese, Gütersloh 1998 ; 21999 ; réimpr. Darmstadt 2003 ; édition paperback Gütersloh 2007 ; traduction américaine 2012.

[15] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, Paris 1949, 285 ; cité d’après Elsa Dorlin, Sexe, genre, et sexualités. Introduction à la théorie féministe, Paris 2008, p. 5.

[16] Cf. Élisabeth Badinter, L’amour en plus. L’histoire de l’amour maternel (XVIIe-XXe siècle), Paris 1980 ; réimpr. 2010.

[17] Formulé en se référant à Dorlin, Sexe, genre, et sexualités, p. 5.

[18] Pour l’évolution de la perspective féministe en exégèse biblique cf. Marie-Theres Wacker, Feminist Criticism and Related Aspects, dans : Rogerson, John W./Lieu, Judith (éd.s), The Oxford Handbook of Biblical Studies, Oxford 2006, 634-654.

[19] Meyers, Carol, Was Ancient Israel a Patriarchal Society ?, dans : Journal of Biblical Literature 133, no. 1 (2014) 8–27.

[20] Traduction d’André Chouraqui ; cf. http://nachouraqui.tripod.com/id78.htm.

[21] Pour les interprétations de ce texte, je renvoie notamment à : Fokkelien van Dijk-Hemmes, The Great Woman of Shunem and the Man of God : A Dual Interpretation of 2 Kings 4,8-37, dans : Athalya Brenner (éd.), A Feminist Companion to Samuel and Kings, Sheffield 1994, 218-230, et : Uta Schmidt, Zentrale Randfiguren. Strukturen der Darstellung von Frauen in den Erzählungen der Königsbücher, Gütersloh 2003, pp. 60-101. Schmidt présente une analyse narrative détaillée du texte sans se servir explicitement des catégories de genre, mais en analysant les relations de pouvoir, entre le prophète et la femme en particulier ; van Dijk-Hemmes discute des perspectives féministes divergentes et soulève des questions comparables aux miennes.

[22] Cf. BauSteine Männer, Kritische Männerforschung : Neue Ansätze in der Geschlechtertheorie, Hamburg 1996.

[23] L’œuvre du sociologue et ethnologue Pierre Bourdieu sur « la domination masculine », publiée en 1998, fut traduite en allemand en 2005 seulement et n’a pas (encore) eu une influence perceptible dans le domaine des études bibliques, à ma connaissance, mais son concept d’ « habitus », a trouvé sa place en sociologie.

[24] http://en.wikipedia.org/wiki/Mythopoetic_men%27s_movement.

[25] Une des figures de proue du mouvement est Robert Bly, avec son bestseller « Iron John : A Book about Men », Reading/Mass. 1990 ; traduit en allemand : Eisenhans. Ein Buch über Männer, München 1991 ; aussi en français : L’homme sauvage et l’enfant : l’avenir du genre masculin, Paris 1992.

[26] David J.A. Clines, David the Man : The Construction of Masculinity in the Hebrew Bible, dans : id., Interested Parties. The Ideology of Writers and Readers of the Hebrew Bible, JSOT.S 205, Sheffield 1995, 212-243. Cf. http://www.academia.edu/2467380/David_the_Man_The_Construction_of_Masculinity_in_the_Hebrew_ Bible. – Pour le développement des « men’s studies » et « masculinity studies » en exégèse biblique en Allemagne cf., Marie-Theres Wacker, Bibelwissenschaft und Männerforschung. Zur Einführung, dans : Bibel und Kirche 63/3 (2008) 126-131.

[27] Traduction de la Bible de Jérusalem.

[28] Il est intéressant de voir que Clines ne discute pas la possibilité d’une relation homo-érotique entre David et Jonathan ou du moins les possibilités d’une telle lecture des textes bibliques.

[29] Cf. David J. Clines, He-Prophets : Masculinity as a Problem for the Hebrew Prophets and Their Interpreters, dans : Alistair G. Hunter/Philip R. Davies (éd.s), Sense and Sensitivity (JSOT.S 348), Sheffield 2002, 311-328 ; David J. Clines, Dancing and Shining at Sinai : Playing the Man in Exodus 32-34, dans : Ovidiu Creanga (éd.), Men and Masculinity in the Hebrew Bible and Beyond, Sheffield 2010, pp.54-63; cf. http://www.academia.edu/2253885/Dancing_and_Shining_at_Sinai_Playing_the_Man_in_Exodus_32_34.

[30] Il est possible de penser non pas aux cavaliers mais aux conducteurs du char.

[31] Cf. Marie-Theres Wacker, SchamanInnen in der Welt der Bibel ? Ein kulturvergleichendes Experiment, dans : Schlangenbrut. Zeitschrift für feministisch und religiös interessierte Frauen, No 57 ; 15 (1987) 17-21.

[32] Cf. Thomas W. Overholt, Prophecy in Cross-Cultural Perspective. A Source-Book for Biblical Researchers (SBL Sources for Biblical Study 17), Atlanta/Georgia 1986 ; id., Cultural Anthropology and the Old Testament (Guides to Biblical Scholarship), Minneapolis 1996. Overholt a déjà donné les principes d’une lecture anthropologique des textes bibliques sur Élie. Cf. Thomas W. Overholt, Elijah and Elisha in the Context of Israelite Religion, dans : Reid, Stephen B. (éd.), Prophets and Paradigms. Essays in Honor of Gene M. Tucker (JSOT.S 299), Sheffield 1996, 94-111, ainsi que : id., Cultural Anthropology, pp.24-68. Il ne s’attache cependant pas à lire les textes comme une composition littéraire qui se tient, mais il les utilise pour en déduire des caractéristiques chamaniques et montrer que, dans la religion de l’Israël pré-exilique, l’élément chamanique pouvait être présent sur le plan de la religion « populaire ».

[33] Dans ce sens, le terme peut quelquefois désigner le cadavre, comme, éventuellement, en Aggai 2,13. Contribution de J.-P. Sergenton, Paris, durant la discussion.

[34] Les LXX présupposent également un qal au v. 21.

[35] Overholt a développé ce sujet, cf. Overholt, Elijah and Elischa pp. 104ss ; id., Cultural anthropology, pp. 30ss.

[36] Le franciscain Richard Rohr développe, dans la lignée de Robert Bly (cf. note 26), l’idée d’une spiritualité propre à l’homme. Une collection de ses conférences disponibles en cassettes audio a été traduite en allemand sous le titre : Der wilde Mann. Geistliche Reden zur Männerbefreiung, München 1986 ; ce livre a gagné une grande influence (il connaît vingt rééditions jusqu’en 2000 !). Cf. aussi Richard Rohr (avec Joseph Martos), The Wild Man’s Journey. Reflections on Male Spirituality, Cincinnati/Ohio 1992, et l’édition retravaillée : From Wild Man to Wise Man : Reflections on Male Spirituality, Cincinnati/Ohio 2005. Rohr a aussi écrit une petite étude sur Élie : Rohr, Richard, Elija – gerade gut genug, unsere Aufmerksamkeit zu erlangen, dans : id., Der befreite Mann. Biblische Ermutigungen, Stuttgart 2005, 62-67. Un autre auteur sur cette ligne est Patrick M. Arnold, Elija – der wilde Mann, dans : id., Männliche Spiritualität, München 1994, 166-182.

[37] Texte tiré de la TOB.

[38] Cf. Gregory Mobley, The Wild Man in the Bible and the Ancient Near East, dans : Journal of Biblical Literature 116/2 (1997) 217-233.

[39] Nous renvoyons, à titre d’exemple, à Timothy R. Koch, Cruising as Methodology : Homoeroticism and the Scriptures, dans : Ken Stone (éd.), Queer Commentary and the Hebrew Bible, Sheffield 2001, 169-180, en particulier p. 176 sur Élie.

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Marie-Theres Wacker,

is Professor of Old Testament and Women’s Studies in Theology/Gender research in Theology at the Faculty of Roman Catholic Theology, University of Münster since 1998. Her research focus lies in the areas of biblical prophecy, Hellenistic Judaism, the debate about biblical monotheism, biblical hermeneutics with special emphasis on gender, and the Christian-Jewish dialogue. Among her most recent publications is: Feminist Biblical Interpretation. A Compendium of Critical Commentary on the Books of the Bible and Related Literature (1096 pages ; Eerdmans : 2012 ; Gütersloher Verlagshaus : 3rd print 2007, ed. by Luise Schottroff and Marie-Theres Wacker, with seven contributions by her).

© Marie-Theres Wacker, 2014, lectio@theol.unibe.ch, ISSN 1661-3317

 
 
 
 

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